La séance de chantage annuel de Bernie Ecclestone a toujours quelque chose de franchement écoeurant. Cette année, elle l'est juste un peu plus.

Jusqu'où faudra-t-il se prostituer pour enrichir ce vieillard soupçonné de fraude et de corruption par la justice allemande?

C'était déjà 15 millions en fonds publics; ce sera 15,7, et on augmentera de 700 000$ par année comme ça pendant 10 ans. Avec les améliorations imposées, l'ardoise s'élève à 240 millions sur 10 ans.

Je rappelle qu'avant 2003, le promoteur du Grand Prix du Canada payait ses droits à Ecclestone sans emmerder le contribuable. Un événement qui se finançait de lui-même, et très bien.

Vint alors le retrait des commandites sur le tabac. Et une concurrence internationale accrue. Ecclestone a exigé une compensation à hauteur de 8 millions par année. Puis encore plus, sous prétexte que toutes les villes du monde veulent avoir leur Grand Prix.

On a dit oui, oui, oui!

Dix ans plus tard, donc, cet événement entièrement privé est devenu un fabuleux suceur de fonds publics.

Toujours plus d'argent pour une épreuve qui est moins populaire à Montréal - on supprime subtilement des gradins. Et où, de toute évidence, l'organisation est obligée de faire des compressions. Demandez aux bénévoles comment ils étaient traités il y a cinq ans, comparativement à cette année...

Ah, fiscalement, l'opération est encore très rentable. Voilà ce qui justifie ces subventions. Et voilà qui ferme toutes les gueules...

Peut-être pas si rentable qu'on le prétend, remarquez: la théorie des «retombées» est sans doute la plus fumeuse des sciences économiques. Mais sans doute est-ce rentable.

Je ne blâme pas les gouvernements de céder à ce chantage. On est un peu compromis dans cette histoire... On ne va pas reculer. Entre le dégoût et l'appauvrissement, entre l'humiliation que Bernie nous fait subir et la honte de «perdre» le Grand Prix, on a choisi. Je suis d'accord!

Mais je répète: jusqu'où faudra-t-il aller? À partir de quand cette histoire ne sera-t-elle plus rentable?

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Quand on nous explique que les pimps écument les centres jeunesse en prévision du Grand Prix, pour fournir en prostituées juvéniles ces chers touristes, on place ça où dans les retombées?

Ça fait rouler l'économie, ça fait vivre le crime organisé aussi, il y a bien un peu de TPS qui doit nous arriver par la porte d'en arrière, c'est ça?

Quand un homme meurt dans un accident absurde, après cette fête opulente, ça s'ajoute comme une sorte de signal d'alarme.

Bien sûr, c'est un accident qui aurait pu arriver n'importe où. Peut-être. Mais peut-être pas.

Quelles sont les normes de sécurité? Comment sont formés les bénévoles?

Sans les bénévoles de toutes sortes, ces courses ne pourraient pas avoir lieu. Ce sont généralement des passionnés de course et ils ne se font pas prier pour venir par centaines travailler sur un Grand Prix.

Il y a comme un malaise tout d'un coup. Comme un désordre. On n'est plus à l'époque artisanale des années 70. Quand tout se faisait en privé, entre gens de course automobile. On a affaire à des multinationales milliardaires, qui viennent rouler ici comme ailleurs aux frais de l'État - néanmoins au profit d'un promoteur local - à l'aide de dévoués bénévoles. Ça change le portrait.

Cette mort aurait pu arriver ailleurs. La prostitution n'a pas été créée pour le Grand Prix, ni à Montréal. Et un peu partout, les États consentent à verser des sommes indécentes pour obtenir cet événement. Nous ne sommes pas si originaux.

Mais il est temps d'examiner d'un peu plus près la réelle valeur de l'événement. Vu qu'on s'apprête à signer un autre formidable contrat plein de superbes retombées avec cet individu pas au-dessus de tout soupçon...

A-t-on tellement peur de perdre cet événement qu'on n'ose même plus le critiquer sans risquer de passer pour un anti-Montréalais?

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