Gérald Tremblay en a fini, et c'est mieux ainsi. Le spectacle débilitant de ce moine marchant en aveugle au pays des méchants était franchement pathétique.

«J'avais une obsession: l'intégrité», a dit l'ancien maire de Montréal.

Ce n'est pas vrai. Il avait l'obsession du pouvoir. D'être maire. De «sauver Montréal». De «sauver le Grand Prix». De «sauver le FINA». Et le prix à payer était de ne rien voir de ce qu'il ne fallait pas voir.

«Même Ray Charles verrait ça», disait souvent un avocat, du temps qu'il n'était pas de mauvais ton de faire des blagues pouvant offusquer des handicapés.

Mais Gérald Tremblay ne le voyait pas.

Comment croire qu'il était «obsédé par l'intégrité» quand on voit la quantité industrielle de couleuvres qu'il a avalées?

S'il vous plaît, amis lecteurs, ne m'écrivez pas qu'il est honnête, qu'il ne s'est rien mis dans les poches, qu'il a ce côté naïf.

À quoi sert l'honnêteté personnelle si elle constitue la fondation d'un édifice de corruption?

Il a beau se donner des airs de frère des écoles chrétiennes qui ambitionne de devenir chanoine honoraire, cet homme est coupable de ne rien avoir vu.

Imaginez: il met dehors le directeur général de la ville (Robert Abdallah) parce qu'il mange avec Tony Accurso... dans un restaurant italien (circonstance aggravante)... Mais lui, il ne dit pas pourquoi il le congédie!

Et cet homme obsédé d'intégrité laisse ensuite Frank Zampino choisir le prochain. Tout un flair!

Il félicite à la pissoire un fonctionnaire qui vient de lui prouver que la Ville se fait rouler de dizaines de millions par année à cause d'un marché fermé - euh... la collusion! Mais il ne vérifie jamais ce qui arrive ensuite. «J'ai présumé qu'il y avait eu un comité de suivi.» Méchant obsédé!

Avez-vous remarqué que M. Tremblay n'a pas dit un mot contre Frank Zampino? Oh certes, il lui a reproché d'aller chez Dessau après sa retraite de la Ville. Mais à ce jour, il n'est pas capable de conclure que Zampino a été un instrument de forces occultes. «Je ne vais pas faire le travail de la Commission», a-t-il tranché, offusqué.

Bien sûr qu'on l'a trompé. Bien sûr qu'on lui a caché des choses. Mais qu'il ne vienne pas nous faire le numéro de l'obsédé d'intégrité. Un obsédé pose des questions. Et s'il apprend en 2002 que deux conseillers municipaux sont condamnés pour corruption dans Saint-Laurent... et que l'un d'eux (Irving Grundman) dit qu'il a fait ça «tellement souvent»... il devient vigilant.

Il ne l'a pas été.

Il n'a pas voulu l'être.

Être obsédé par l'intégrité municipale aurait supposé un courage politique et peut-être même physique au-dessus de la moyenne. Je ne reproche pas à Gérald Tremblay de ne pas l'avoir eu. Je lui reproche de ne pas avoir la simplicité de le dire aujourd'hui: mesdames et messieurs, le milieu politique montréalais était pourri; j'ai vite compris que je ne pouvais pas le réformer à moi seul; j'ai fait ce que j'ai pu...

Non: il veut jouer deux rôles irréconciliables: l'innocent qui n'a rien vu et le gestionnaire vigilant.

C'est vrai qu'il paie pour d'autres. Comment pensez-vous que le parti de Pierre Bourque a été financé? Lui non plus ne voulait pas voir le côté sombre des choses politiques montréalaises. C'était le maire jardinier, l'homme de l'écologie... Si on allait fouiller du côté de son financement, sans doute aurait-on de vilaines surprises...

Mais les fautes des autres n'excusent pas celles de Gérald Tremblay. Et de voir toute sa réticence à admettre l'évidence ne fait que confirmer ce qu'on sait depuis longtemps: il ne voulait rien voir.

Il faut «relativer», comme il dit: ce n'est toujours que 40-50 millions sur des achats de service annuels d'un milliard... Mais attention, il ne «minimise» pas!

Mais oui, il minimise. Il se fait une raison. Il sauvait Montréal! Que d'autres derrière sa soutane aient triché, ce n'est pas de sa faute. Que voulez-vous, il avait tant à faire...

Triste récit. Triste fin.

yves.boisvert@lapresse.ca