J'entends déjà les policiers: quand on utilise le «Taser», on nous tombe dessus, quand on utilise le pistolet, on nous dit d'utiliser le «Taser» ...

D'après le collègue Vincent Larouche, le coroner qui a enquêté sur la mort de Mario Hamel et Patrick Limoges arrive en effet à cette conclusion: les policiers auraient dû intervenir avec un pistolet électrique.

Que veut donc le public?

Le public, il me semble, veut à peu près ceci: qu'on prenne les moyens raisonnables pour maîtriser un malade psychiatrique dangereux sans le tuer. Et que des passants ne meurent pas de la plus absurde manière en recevant une balle perdue tirée par la police sur ce malade.

Le problème du pistolet électrique n'est pas l'arme elle-même. C'est que, un peu partout en Amérique du Nord, il a été utilisé quand ce n'était pas vraiment nécessaire, et que des gens en sont morts.

Les policiers ont toujours dit que c'était «mieux que de tirer une balle», ce qui est incontestable. Le hic, c'est qu'on n'était pas toujours en situation de dernier recours. Ou qu'on en a abusé. On a vu des vieillards se faire «taser» aux États-Unis. On a vu à Vancouver comment les agents de la Gendarmerie royale du Canada en ont abusé contre Robert Dziekanski, en 2007, sous l'oeil d'une caméra.

Des groupes en ont conclu qu'il fallait l'abolir. Il faudrait plutôt s'en servir au bon moment... Et le bon moment, c'est évidemment quand la décharge remplace une balle qui va tuer quelqu'un.

On n'a pas encore en main l'analyse factuelle de cet événement de juin 2011.

Ce jour-là, Mario Hamel, un sans-abri bien connu dans le centre-ville, était en crise. Il déchirait des sacs de poubelles avec un couteau et était menaçant. Les policiers sont arrivés sur place pour essayer de le calmer, mais les choses ont eu la tournure tragique qu'on connaît.

Il n'y a pas vraiment de doute sur le fait que les policiers impliqués étaient dans une situation critique quand ils ont tiré. Ils pouvaient craindre pour leur vie à ce moment précis.

La question qui se pose est de savoir pourquoi et comment ils en sont venus à cette inévitabilité...

Comment a été décidée l'opération? Ces policiers savaient ce qu'ils allaient faire. Ils avaient une idée du genre d'individu qu'ils allaient affronter...

En plein le genre de cas propice à une intervention... alternative.

Il y a une chose que ne peut pas recommander le coroner, qui enquête sur les causes des morts: modifier le processus d'enquête sur la police.

Ça tombe bien, le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, vient de s'en charger.

À peine arrivé en poste, le nouveau ministre propose un virage majeur et la création d'une vraie police des polices, ce qui demande un certain courage.

Pas de demi-mesure, et très loin du nébuleux et vaporeux «bureau de surveillance» que proposait le gouvernement libéral l'an dernier.

Cette fois, il s'agit d'un véritable corps de police... sans policier. Il sera dirigé par un juge à la retraite ou un avocat d'expérience. Les enquêteurs pourront être d'anciens policiers, mais pas forcément.

Certains syndicats de police dénoncent le fait que des amateurs soient responsables d'enquêtes complexes. Mais les enquêtes ne sont pas sous un monopole policier dans notre société. Des comptables, des juristes, des ajusteurs... Toutes sortes de gens sont formés pour faire des enquêtes. Avec une formation appropriée et un appui technique, il n'y a pas de raison de penser qu'ils ne seront pas capables d'accomplir leur travail.

Le projet de loi 12 prévoit un processus de sélection indépendant pour choisir le directeur de ce nouveau Bureau des enquêtes indépendantes. Fort bien. On se demande pourquoi un processus aussi rigoureux n'est pas en place pour choisir le chef de la Sûreté du Québec! Le ministre a en effet congédié le directeur général dès son arrivée au pouvoir et l'a remplacé par un nouveau sans aucun processus de sélection, ce qui n'a pas vraiment de bon sens s'il s'agit d'une police «nationale».

Ce bureau enquêtera chaque fois qu'un policier causera une mort ou des blessures graves. Il fera rapport au Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Il reste bien des choses à préciser. Notamment les règles entourant la coopération des policiers soumis à ces enquêtes. Et aussi la transparence du processus. Au Royaume-Uni, le bureau équivalent publie dans chaque cas un rapport pour expliquer ses conclusions - poursuivre ou pas. Car ne nous faisons pas d'illusions: il n'y aura pas une avalanche de poursuites pénales contre les policiers.

Mais du moins, on espère pouvoir dire que 1) le processus d'enquête est crédible; 2) on comprend pourquoi s'il n'y a pas d'accusation à la fin - ce qui ne veut pas dire que les policiers ont fait une «bonne intervention»; le triste cas Limoges en est l'illustration parfaite.

Le temps était venu.