Ici, on a le Parc olympique en pleine face, mais comme un coup de poing.

«Les travaux ont duré cinq ans, me dit Jackie. La poussière, le bruit, les camions, les souris...»

Les souris?

«Oui, les souris: c'étaient des champs, il y avait plein de souris, alors quand ils ont creusé, où elles sont allées, les souris, vous pensez?»

Je pense qu'une bonne place serait chez vous, madame. «J'ai mis des trappes partout dans la maison, j'en prenais 10 ou 12 par semaine, les gens se sont mis à acheter des chats, il y avait des chats partout... Alors, vos foutus Jeux olympiques, ils me dégoûtent, voilà ce qu'ils me font.»

Elle habite juste de l'autre côté de la grande grille de 3 mètres, surveillée par des militaires, qui délimite le Parc olympique. Des townhouses victoriens en brique grise. À moitié logements sociaux, à moitié propriété privée.

Pour tous les inconvénients, on leur avait promis des billets pour les compétitions. «On attend encore!»

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On est dans la partie est de Londres, dans l'arrondissement de Hackney. Les promoteurs des Jeux ont dit que l'événement allait aider à revitaliser le quartier.

L'Est, où les immigrants des Caraïbes et d'ailleurs se sont installés depuis 40 ans, avait mauvaise réputation. À 15 minutes du stade, dans Clapton, quelques pâtés de maisons forment ce qu'on appelle le «murder mile»: trafic de drogue, règlements de compte...

«Va pas frapper à n'importe quelle porte, mate, tu sais pas sur qui tu vas tomber... Sois prudent», me dit un passant que j'intercepte et qui s'en va travailler pour la sécurité aux Jeux.

Mais tout ça, ce sont déjà de vieilles histoires. La criminalité a radicalement diminué. Les quartiers des environs, Homerton, London Fields, Lower Clapton, sont envahis par de jeunes professionnels, plein de gens des médias, des artistes. Le train vous mène au centre de Londres en 10 minutes. Des pubs, des cafés, des bars, des restos branchés ont poussé à côté des vieux commerces - pensez à des coins de la rue Ontario ou de Saint-Henri. Le dimanche, un marché bio s'installe dans la rue.

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C'est un ancien quartier industriel qui s'est lentement vidé de ses emplois. À l'endroit où a poussé une tour à condos chic était installée l'usine de voitures jouets Matchbox.

L'immeuble à appartements s'appelle «Sky». J'y rencontre à l'entrée un couple de 28 ans; les deux travaillent pour des producteurs de télé. Le loyer est de 1800 livres, qu'ils se partagent à quatre.

«C'est super, de notre chambre, on a une vue sur le Parc olympique, on voyait les feux d'artifice des cérémonies d'ouverture. Avant, c'était vraiment laid, c'était à l'abandon, ce terrain.»

Immédiatement en face, des townhouses sociaux gérés par la ville, naguère réputés pour être un des pires coupe-gorge de Londres.

Jackie en sort. Pour elle, les Jeux n'ont pas «nettoyé» le quartier. Ils l'ont bétonné.

«Avant, il y avait des gitans installés là, et le dimanche, il y avait une sorte de grand marché. On vendait des voitures et tout ce que vous pouvez imaginer. C'était bien.»

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À quelques rues de là, dans une église baptiste, une fête jamaïcaine est organisée

- 2012 marque le 50e anniversaire de l'indépendance, et Usain Bolt est en ville...

Au pub Prince Edward, une vague odeur de pot flotte dans l'air. Un vieux regarde le 3000 m steeple des femmes. «Kenya! Ah, oui, ce sera la fille du Kenya, regardez ça!» Ce fut une Russe, et les deux autres clients n'en avaient vraiment rien à cirer.

J'ai rendez-vous avec Rob, un Anglais qui a passé quatre ans à Montréal et qui s'est fait tatouer la silhouette de la ville sur le bras du coeur.

En cinq ans, le secteur a tellement changé, il est à peine reconnaissable, dit-il. C'est non seulement l'endroit cool pour sortir, où tous vos amis habitent, mais c'est aussi un des derniers endroits à peu près abordables à Londres, pas trop loin. À cinq, ils se partagent un cottage attaché. Ça lui coûte environ 650$ par mois - il payait le double pour une chambre minuscule près de Notting Hill en 2007.

En se promenant, on voit côte à côte les maisons laissées à l'abandon, et les autres, rachetées parfois par des investisseurs, retapées, puis louées à fort prix.

Le quartier change à vue d'oeil.

L'effet olympique? Pas du tout. Le processus était amorcé depuis longtemps, il n'est pas très différent de ce qui se passe dans les autres grandes villes, où les anciennes zones industrielles sont réappropriées et réinventées par une nouvelle génération.

L'immense centre commercial Westfield, collé sur le Parc olympique, n'a pas été attiré par les Jeux, mais par l'argent qui s'est déplacé vers l'Est.

Les JO ont permis de construire un nouveau train, de décontaminer le terrain et de bâtir un Village olympique, qui sera transformé en nouveaux appartements après.

Mais même quand on aura enlevé les lance-missiles des toits de certains immeubles, quand on aura enlevé la grille, loué le stade à l'équipe de soccer, on n'aura pas convaincu Jackie que c'est tellement mieux qu'avant pour elle.

Photo: AFP

Un gardien de sécurité surveille la clôture ceinturant le Parc olympique, dans le secteur est de Londres.