Après ce qu'ils ont vécu hier, franchement, les Anglais pourraient arrêter leurs Jeux sur ces grands frissons athlétiques, ce serait parfait, il n'y aurait rien à redire.

Trois médailles d'or au stade olympique. Une claironnée des semaines à l'avance, une prenable mais difficilement et une qui n'était pas sur le radar.

La claironnée : l'heptathlonienne Jessica Ennis, qu'on voit partout sur les affiches à Londres, était déjà une star en Grande-Bretagne ce printemps. Les Anglais sont-ils fous d'heptathlon (sept épreuves de course, de sauts et de lancers) ? Bon, là, ce matin, peut-être. Mais la semaine dernière, disons, ce qui émouvait les foules était autant son statut de vice-championne du monde que sa prodigieuse beauté (un trait assez répandu dans cette discipline, en passant).

La victoire était déjà dans la poche hier soir pour la dernière épreuve, mais quand elle a pris le contrôle du 800 m dans le dernier tour, heureusement que ce stade n'avait pas de toit, il aurait fallu le recoudre.

Mine de rien, la Canadienne Jessica Zelinka a terminé deuxième de cette épreuve, 7e au total.

Est venu ensuite le tour de Greg Rutherford, qui a remporté l'or au saut en longueur. Dixième à Pékin, il n'a rien fait au championnat monde, et ses meilleurs résultats sont l'argent aux Jeux du Commonwealth. Jusqu'à ce qu'il trouve l'adresse de l'ancien coach de Carl Lewis (4 fois l'or en saut), Dan Pfaff. Il commence à peine à gagner.

Ça commençait à chauffer sérieusement dans ce stade par ailleurs frisquet.

Mo Farah

Ça tombait bien, le meilleur s'en venait : un 10 000 m historique. Pas pour sa vitesse, puisqu'il a été gagné en 27:30, le 10 000 m olympique le plus lent depuis Barcelone.

Historique par son podium : l'or à la Grande-Bretagne, l'argent aux Etats-Unis et le bronze à l'Éthiopie. Les Kényans hors podium !

Le vainqueur Mohamed Farah est né en Somalie et un journaliste africain lui demandait s'il aurait été plus fier de gagner pour son pays de naissance. « Non, je suis arrivé ici à huit ans, j'ai grandi à l'école ici, c'est ma ville, c'est mon pays », a-t-il dit avec ce sourire énorme qui ne l'a probablement quitté à l'heure où vous lisez ceci.

Après Ennis et Rutherford, la foule a touché au délire. Quand Farah dit que sans ce public, il ne gagnait pas, ce n'est pas de la frime. Le stade tremblait.

Tout avait commencé dans l'ordre : le recordman du monde et champion olympique Kenenisa Bekele était devant après 1000 m ; au 2e km, c'était le Kényan Wilson Kiprop, meilleur chrono 2012 ; puis les très forts Érythréens ont pris le contrôle de la course pendant les quatre km suivants. Kiprop, blessé, avait sauté, et on se demandait qui des Kényans qui restaient ou des Éthiopiens allaient attaquer. Ce furent les Kényans.

Mais une attaque pas très féroce, et le groupe de tête de 11 coureurs ne s'est pas dissous avant la toute fin.

Au tout dernier tour Farah a pris la tête. Et sur les derniers 150 m, un grand blond a surgi comme de nulle part... Ça se remarque, un grand blond dans une finale de 10 000 m. C'était l'Américain Galen Rupp.

« Ça fait vraiment bizarre de voir la Grande-Bretagne et les Etats-Unis or et argent au 10 000 m », a dit Rupp, encore sous le choc. Dernier podium américain dans la distance ? 1964.

Rupp et Farah s'entraînent ensemble au mythique club de Eugene, en Oregon, avec Alberto Salazar. « Il y a quelques années, Alberto a établi un plan pour que les Américains fassent des podiums dans les courses de longue distance. »

Il fallait voir Rupp à l'arrivée, il courait pour embrasser Farah, il avait l'air plus content de son or que de as propre médaille. Farah, lui, était à la renverse sur la piste. Sa fille et sa femme (enceinte de jumeaux) sont venues le rejoindre. « Ma fille avait des problèmes avec ses souliers, je lui ai dit de les enlever pour faire le tour de le piste avec moi, mais le bruit de la foule lui faisait trop peur ! »

Au milieu de la course, Farah a tapé sur l'épaule de Rupp pour lui dire d'attendre avant de passer à l'action. Ça l'a rassuré. Que voulez-vous, les deux sont un peu seuls dans leur équipe nationale, contrairement aux Kényans, aux Éthiopiens ou aux Érythréens. Ils se sont faits leur équipe en amis -ces deux-là jouent au Playstation et rigolent ensemble entre les entraînements, de vrais amis.

Les frères Bekele ont fini 3 et 4. Le grand frère, 30 ans, lui qui détient un record du monde que personne n'a approché (26 :17), lui quatre fois champion du monde, deux fois médaillé d'or, était démoli après la course. Triste à voir, cette sortie de piste d'un immense athlète. Il avait raté la saison 2011, mais semblait avoir repris la forme pour le 10 000 m. Il lui reste le 5000 m, que des résultats 2012 décevants ne laisse pas présager glorieux.

Son frère Tariku, la mine déconfite, nous a dit qu'il était « tellement » content. Ça doit pas être comique quand il file un mauvais coton. Du moins l'honneur national est sauf.

Je termine avec ceci qui n'a l'air de rien mais qui est très prometteur : le Canadien Cam Levins, 23 ans, termine 11e. Mais surtout, il n'a jamais décroché. Superbe course. Et pas sa dernière.