Mardi, un homme s'est jeté du haut de la terrasse du cinquième étage au Tate Modern. Il s'est écrasé devant des dizaines de personnes horrifiées, assises dans la pelouse qui jouxte le fameux musée d'art contemporain.

Un témoin a cru un instant qu'il s'agissait d'une sinistre «performance» artistique et que l'institution, abonnée aux controverses, avait franchement outrepassé les limites de la décence.

Une femme a dit au Evening Standard trouver «vraiment triste que ça se produise pendant la première journée ensoleillée de l'année, juste avant les Jeux olympiques».

Les gens disent des choses étranges, c'est vrai, mais il faut savoir l'état catastrophique de la météo anglaise depuis le printemps. Il faisait, au cours des dernières semaines, plus froid qu'à Vancouver pendant certaines journées des Jeux d'hiver. Il a plu tous les jours, dans une séquence record, humide caricature de britishness météorologique.

Et soudain, c'est passé de 16 degrés à 28. Le choc...

Depuis deux jours, les Londoniens poussent dans les parcs et sur les carrés de gazon jalousement protégés un peu partout dans la ville.

Londres est une ville incroyablement pleine de vert, un vert parfois rasé de frais, parfois studieusement laissé en friche, mais surtout très fréquenté ces jours-ci.

Autre conséquence de cet ensoleillement tardif: on annonce une arrivée massive de fourmis volantes. L'insecte sort une fois par année pour se reproduire dans les airs à qui mieux mieux. Des scènes de sexe entomologique envahissent alors le ciel de Londres, il paraît qu'il faut presque un parapluie.

Mais comme ces fourmis ne s'envoient en l'air qu'un jour par année, vous pensez bien qu'ils attendent la journée parfaite.

Eh bien, c'est aujourd'hui, d'après le Times. La Presse sera là pour vous le raconter.

- En savez-vous plus long sur ce type qui s'est jeté du cinquième?

- Tout ce que je sais, c'est qu'il avait une quarantaine d'années et qu'il était un abonné, puisqu'il s'est jeté de la terrasse des membres, me dit une garde de sécurité du Tate Modern à voix basse.

Je me demande si cet homme a vu ce qu'on présente ces jours-ci, et qui fait tout un raffut, un des événements culturels de l'année: la première rétrospective d'un des artistes contemporains les plus fabuleux, mais aussi les plus contestés... et les plus riches: le Britannique Damien Hirst.

Contesté? Notamment pour passer outre aux règles du marché de l'art et pour avoir orné de diamants le crâne d'un nouveau-né.

L'impossibilité physique de la mort dans l'esprit d'une personne qui vit: c'est le titre d'une oeuvre qui consiste en un requin blanc de bonne dimension qui vous regarde la gueule ouverte dans un immense bocal de formol bleuté. Euh, un requin pour de vrai...

Dans une autre pièce, on aperçoit une vache dans un grand aquarium de formol. Faite en quoi? Faite en vache! C'est une vraie vache morte. Mais en contournant le bocal géant, on voit un deuxième bocal. Chacun contient sa moitié de vache, coupée sur le long. En passant entre les bocaux, on en voit l'intérieur.

C'est fou ce que ça contient de choses, une vache, c'est à se demander si elles se servent de tout ça, quand on pense à leurs journées.

Il y a des artistes qui enculent les mouches; Damien Hirst, lui, les embaume. Il en a mêlé des milliers à de la résine et les a agglutinées sur un tableau circulaire de trois mètres de diamètre. De loin, on dirait simplement une toile noire un peu épaisse et pas très rassurante. De près, on voit que cette texture est en fait un cimetière d'insectes.

Où prend-on autant de mouches, me demanderez-vous? Dans une autre oeuvre, où des mouches sont enfermées dans un autre immense bloc de verre. Elles se nourrissent de fruits et d'une tête de vache en décomposition sur une mare de sang. Certaines sont ensuite électrocutées par un dispositif anti-insectes. Pour vous résumer ça dans un espace raisonnable, ça parle de la vie et de la mort.

Tiens, des vitraux de cathédrale... Les portes du Royaume des cieux. Ils sont en forme d'ogive et ont des couleurs somptueuses, on dirait qu'il les a piqués à Chartres.

Mais on s'approche... Ce sont des milliers de (vrais) papillons collés...

Je sors de là un peu troublé par ces mélanges recyclés de vie décomposée qui ne sont pas sans beauté.

Je sors du Tate et Londres brille sous un soleil à faire baiser les fourmis volantes. Les gens sont assis dans l'herbe. On ne parle plus qu'à voix basse de ce type sans nom qui s'est tué, va savoir pourquoi, pour qui.

La vie continue, les Jeux commencent.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca