Vendredi soir, quand les boules de billard et les bombes lacrymogènes pleuvaient sur Victoriaville, Jean Charest, furieux, séquestré dans ce motel de province assiégé, a menacé de mettre fin aux négociations.

Il a exigé que les leaders étudiants dénoncent sur-le-champ la violence. On a vu le résultat aux informations. Les mots étaient clairs, la dénonciation sans nuance.

Ce soir-là à Québec, derrière des portes closes, Michel Arsenault a fait comprendre à tout le monde, en particulier à Gabriel Nadeau-Dubois, que si ce n'était pas fait, la FTQ allait les lâcher aussi sec. Le président de la plus grande centrale syndicale du Québec a beau avoir de la sympathie pour les étudiants, il a autre chose à faire de ses nuits que de s'associer à des dérapages ou à un échec. L'heure était au règlement.

On peut s'étonner, quand on s'y arrête un instant, de voir invités à la table, en plus des recteurs, les chefs des centrales syndicales. Il n'est pas question des droits des travailleurs, ils ne sont pas directement concernés.

Mais ainsi va la vie politique au Québec: bien souvent, la solution des crises sociales passe par une entente avec les grands syndicats.

La semaine dernière, Jean Charest les a convoqués, exaspéré. Le gouvernement avait officiellement bougé sur trois points importants: rehaussement important du seuil d'admissibilité aux bourses et aux prêts, remboursement proportionnel au revenu, étalement des augmentations sur sept ans. Les deux premiers éléments étaient des revendications de longue date du mouvement étudiant. L'accessibilité pour les enfants des familles défavorisées et d'une grande partie de la classe moyenne est protégée ou améliorée, a-t-il plaidé. Mais quant au dégel massif des droits, pas question de bouger. L'opinion publique le soutient sur ce point; son caucus ne veut pas qu'il cède.

«À un moment donné, dans une négociation, il faut savoir ramasser ce qu'on a gagné», m'a dit la semaine dernière un proche du mouvement syndical, sympathique au mouvement étudiant.

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Incroyable de voir que le gouvernement Charest a organisé ces négociations de la... 12e semaine. Pourquoi si tard, quand le trimestre est presque perdu?

D'abord parce que le gouvernement n'a jamais pensé que la grève durerait si longtemps. Mais ensuite... Les négociations n'ont pas commencé vendredi. Une offre semblable à celle que Jean Charest et Line Beauchamp ont rendue publique il y a 10 jours avait été faite aux leaders étudiants.

De fait, même quand il n'y avait officiellement «aucune négociation», il y avait des contacts par toutes sortes de voies de communication, et ce, depuis des semaines. Certains au gouvernement étaient même convaincus d'avoir une entente il y a un mois... entente qui ne s'est pas matérialisée.

Au bureau du premier ministre, on en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas moyen de négocier avec ces leaders, aussi brillants soient-ils - Léo Bureau-Blouin en particulier a fait une sorte d'unanimité chez ceux qui l'ont côtoyé.

Les codes habituels de la négociation semblaient soudainement inconnus. On ne jouait pas la même partie.

«Négocier, ça s'apprend, et je pense qu'ils ont appris beaucoup!», dit une source proche des tractations.

Quoi faire alors?

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Les syndicats, depuis le début, avaient soutenu le mouvement étudiant. Tant idéologiquement que financièrement et que du point de vue de l'organisation. Des spécialistes en mobilisation de la CSN ont été impliqués dans plusieurs événements.

Leur présence à la table de négociation serait donc rassurante pour les leaders étudiants. Pour le gouvernement, si les centrales faisaient partie du problème jusque-là, elles devaient faire partie de la solution.

Ces trois syndicalistes, qui en ont vu bien d'autres, seraient là pour faire débloquer la crise sociale.

Moyennant quoi? Rien de précis. Quand les discussions deviendront corsées dans un dossier syndical important, il se peut qu'on rafraîchisse la mémoire du gouvernement. Ça s'est déjà vu dans l'histoire du Québec...

Il fallait tout de même un nouvel élément pour permettre aux étudiants de sortir avec une meilleure entente. Ce fut l'idée d'un conseil pour évaluer la gestion des universités et affecter les sommes gaspillées à la réduction des frais afférents.

Une idée sortie de l'imagination du fils de Gilles Duceppe, Alexis, la semaine dernière. Gilles Duceppe l'a trouvée intéressante. Il y a intéressé Léo Bureau-Blouin et Michel Arsenault. Et elle a rallié les parties - même si, sans doute, les recteurs seront fort irrités de cette sorte de tutorat budgétaire.

L'ancien chef du Bloc n'est qu'un de ceux qui ont tendu des perches et des idées pour faire débloquer le conflit.

Mais d'une manière ou d'une autre, la semaine dernière, Jean Charest a bien vu que s'il devait y avoir une solution négociée, elle allait passer par les syndicats.

Un classique du jeu politique québécois, où les syndicats jouent un rôle social et politique peut-être sans équivalent en Amérique du Nord.