Comme coupage de poire en deux, on peut difficilement faire mieux: deux coupables, deux acquittés, un sans verdict.

Un coupage pénible dans les derniers moments, d'ailleurs, puisqu'on a pu entendre des éclats de voix de certains jurés, hier, dans les coulisses, lors de l'ultime tentative d'arriver à l'unanimité au sujet du cinquième accusé.

On peut déjà tirer quelques conclusions des verdicts rendus par ce jury au procès Norbourg.

D'abord, même s'il faudrait éviter de mobiliser des citoyens pendant cinq mois pour rendre justice, on ne peut pas prétendre que les «simples citoyens» sont incapables de se prononcer dans des affaires complexes et techniques.

On aurait pu être tenté de le croire après le premier procès, qui s'est soldé en 2010 par un avortement pur et simple, après que le jury se fut déclaré incapable de parvenir à l'unanimité.

Ce premier jury avait dénoncé l'ampleur de la tâche, «trop lourde et trop complexe». On lui demandait de se prononcer sur 702 chefs d'accusation concernant 5 présumés complices de Vincent Lacroix dans une fraude de plus de 100 millions de dollars.

Il y avait lieu de craindre une répétition de ce scénario puisque la Couronne n'avait réduit que de 100 le nombre de chefs d'accusation.

Eh bien non, le jury a fait son travail. Et en observant le découpage des verdicts, on peut dire qu'il a travaillé consciencieusement.

C'est-à-dire qu'il a nuancé et qu'il n'a rien accepté en bloc, ni de la poursuite ni de la défense. Sans avoir suivi le procès, on observe que les deux plus proches collaborateurs de Lacroix sont condamnés. Jean Renaud, consultant et ex-fonctionnaire, est arrivé tardivement dans l'affaire. Son acquittement n'est pas si surprenant. Félicien Souka, lui, s'il était informaticien à Norbourg, a réussi à semer un doute raisonnable par son témoignage - les condamnés ont choisi de garder le silence, un choix stratégique toujours délicat pour un accusé sans antécédents judiciaires, et qui laisse parfois le jury perplexe.

Tout ça pour dire qu'un jury bien informé est capable de s'attaquer à des causes très costaudes.

Il n'en reste pas moins que la poursuite doit aider encore mieux les jurés dans ces superprocès, qui sont appelés à se multiplier. On aurait fort bien pu porter deux ou trois accusations par accusé, qui auraient couvert toute la durée des crimes.

Au lieu de cela, on a décidé de découper la fraude en 602 tranches, pour en faire une sorte de liste étape par étape. Il est vrai que, séparée en blocs, elle n'était pas si compliquée. Mais pourquoi ajouter au degré de difficulté et aux risques d'erreur quand un seul crime aurait pu être inscrit: fraude (et complot pour fraude, disons)?

Stratégie pour en jeter épais? Insécurité de la poursuite? Peur d'en échapper? Mauvaises raisons. L'avenir des superprocès passe par un effort de synthèse.

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Autre élément important en cette ère de surmédiatisation judiciaire: malgré les reportages, malgré les commentaires, malgré tout ce qu'on a pu dire de mal sur Vincent Lacroix et ses complices pendant des années... les condamnations ne sont pas automatiques.

Les jurés, encore une fois, ont rendu un verdict fondé sur la preuve, non sur l'humeur de l'opinion publique. À entendre certains avocats de la défense, pourtant, il était impossible que ces accusés aient un procès juste étant donné l'ambiance d'hystérie médiatique et le seul fait qu'ils étaient associés à Norbourg et à Lacroix.

Ces 12 citoyens ont prouvé le contraire. Ce n'est que lorsque la preuve est apparue suffisante qu'ils ont prononcé un verdict de culpabilité.

Que se passera-t-il avec le comptable Rémi Deschambault, vérificateur externe de Norbourg, qui n'a rien relevé d'anormal (après bien d'autres)? Le désaccord du jury, exprimé hier, laisse à la Couronne le choix de reprendre le procès devant un autre jury.

Ne pariez pas trop là-dessus. Après deux désaccords, il serait franchement déraisonnable de soumettre son cas à un troisième jury.

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À tout prendre, donc, ce procès nous laisse voir qu'on peut adapter l'institution du jury aux exigences nouvelles de la justice contemporaine.

Mais, d'une part, il ne faut pas abuser de la patience du citoyen juré. Il remplit une tâche démocratique fondamentale, comme l'a dit hier le juge Marc David en remerciant les 12. Protégeons l'institution en ne la surchargeant pas inutilement.

Cela veut dire, pour les gens de justice, être obsédé par la recherche de nouveaux moyens de simplifier ces procès, qui mettent à contribution des gens qui ne sont pas payés pour ça et qui y consacrent des mois entiers dans l'intérêt public, au sens le plus pur du terme.