Le témoin Jean Charest est sûr de lui. Il parle en expert de la chose politique et administrative. Il connaît le tabac, à Ottawa comme à Québec. Il nous explique la vie dans un gouvernement. Il est au-dessus de la mêlée. Il est... premier ministre.

C'est du moins ainsi qu'il s'est présenté hier, contredisant totalement Marc Bellemare. Il ne l'a jamais entendu se plaindre de quelque pression que ce soit, dit-il. Cela dit, comme avocat, il s'intéressait de près aux nominations des juges et demandait à voir les listes avant que le ministre ne fasse sa recommandation.

Marc Bellemare a dit qu'il s'était ouvert à lui des pressions «colossales» de Franco Fava pour la nomination de trois juges. Et il a prétendu que le sujet n'intéressait aucunement Jean Charest, qui lui aurait ordonné de suivre les recommandations en forme d'ordres du collecteur de fonds.

Qui croire? me demanderez-vous. D'après les sondages, ceux qui croient Jean Charest ne sont pas nombreux. Mais à l'écouter, hier, difficile de décréter que sa version est invraisemblable. Jusqu'ici, ça se tient.

Bien entendu, la partie n'est pas jouée: il reste le contre-interrogatoire de l'avocat de Marc Bellemare. On verra comment résiste la belle assurance du premier ministre.

En attendant, on n'a que deux témoins des conversations entre les deux hommes: Jean Charest et Marc Bellemare.

Qui croire, donc? Hier, Jean Charest a décrit un ministre de la Justice brouillon, boudeur ou qui faisait des crises, qui n'était pas capable de faire fonctionner son ministère ni de travailler en équipe. Cela ressemble à ce qui se disait en 2003 et à ce que des témoins de l'époque sont venus dire.

Mais on peut être exactement comme ça, c'est-à-dire pas fait pour le monde de compromis de la politique, et avoir subi des pressions quand même.

Est-il vraisemblable que des argentiers libéraux aient fait pression sur Marc Bellemare pour nommer trois juges? Oui, d'ailleurs Charles Rondeau et deux ministres de l'époque sont venus dire qu'ils ont suggéré doucement un nom au ministre.

Franco Fava, lui qui devait être le pressurisateur en chef, le nie sans nuances.

Hier, en contre-interrogatoire, il a été un témoin réticent. Il est allé jusqu'à dire que les nominations (pas seulement celles des juges) ne l'intéressaient pas. Pourtant, chaque semaine, il allait consulter le site du gouvernement pour voir qui était nommé. À l'entendre, il n'a pas vraiment d'influence et n'a fait, question pistonnage, qu'envoyer deux C.V. d'avocats plus tard nommés à des tribunaux administratifs. Étonnant qu'il reproche à son ami Charles Rondeau de suggérer un nom de juge au ministre sous prétexte que les nominations, «ça ne nous intéresse pas», et qu'ensuite il suggère deux candidats qui seront ultérieurement nommés à ces tribunaux administratifs. M. Rondeau paraissait plus candide, lui qui disait chercher des candidats compétents... mais à candidat égal, aussi bien choisir un libéral.

Il y a tout de même plusieurs os dans le témoignage de Marc Bellemare. D'abord: aucune trace à l'agenda de la rencontre capitale du 2 septembre 2003, où Marc Bellemare est censé avoir déballé son sac pendant plus d'une heure et demie.

Ensuite, comme le dit Jean Charest, dans le langage même que lui prête Marc Bellemare, il y a quelque chose de bizarre. Un politicien d'expérience comme Jean Charest serait-il assez sot pour dire à son nouveau ministre d'écouter aveuglément un financier du parti? C'est pour le moins pas très subtil et imprudent. Et évidemment, ces sept années de silence ne plaident pas en faveur de M. Bellemare. Oui, il y a ce bout de carton avec des notes griffonnées... au moyen de deux stylos. On a vu mieux comme pièce à conviction.

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À ce jour, avec les témoignages des MacMillan, Després et Rondeau, il y a une preuve d'influences politiques dans la nomination des trois juges en question, sans être pour autant «colossales». Georges Lalande, ex-sous-ministre, dit aussi que Franco Fava se plaignait de ce que Marc Bellemare jouait «au pur» et sous-entendait que s'il nommait les candidats désignés, ses réformes iraient de l'avant. M. Lalande a aussi recueilli les confidences de Marc Bellemare en 2004.

Je retiens donc ceci qui m'apparaît désormais incontestable: le processus de nomination des juges est ouvert à l'influence politique. Ce n'est pas un crime. Mais il ne devrait pas l'être et il n'y a aucune raison de le tolérer. Il faut fermer cette porte, même si elle n'est pas grande ouverte.

Quant à savoir qui de Jean Charest ou de Marc Bellemare dit la vérité, tant mieux pour ceux qui l'ont décidé par avance. J'attends quant à moi que les faits soient tous déposés, virés et revirés pour me faire une idée. L'écart entre leurs versions ne laisse place à aucune hypothèse de compromis. Un minimum de prudence s'impose avant de conclure ce chapitre...