Jusqu'à hier, on n'était pas forcément dans une histoire en noir et blanc. On pouvait croire, je croyais du moins, qu'on entendrait les financiers du parti dire qu'ils avaient fait des suggestions à Marc Bellemare. Et que celui-ci avait interprété ça comme des ordres.

Et donc qu'on se rabattrait sur une sorte de querelle de perceptions et de degrés entre les suggestions, les influences, les pressions et les pressions indues.

Après tout, le ministre Norman MacMillan a admis candidement avoir glissé au ministre de la Justice le nom du futur juge Marc Bisson comme candidat à la magistrature. «Tant mieux si ç'a aidé, j'ai fait mon travail de député», a-t-il dit sans détour et sans états d'âme.

Et le collecteur Charles Rondeau, lui, a tout bonnement parlé de Michel Simard à Marc Bellemare comme candidat potentiel au poste de juge en chef. Ça n'a marché qu'à moitié, puisqu'il fut nommé juge en chef adjoint, mais bon.

Le ministre Michel Després, lui, a posé des questions à Marc Bellemare pour savoir où en était le concours qui devait aboutir à la nomination de sa cousine.

Rien de très méchant là-dedans, ont-ils tous eu l'air de nous dire. En effet, on n'est pas un système de trafic d'influence au sens du Code criminel, il s'en faut de beaucoup.

On n'est somme toute dans un très doux et très gentil système de favoritisme, pardon, de nomination au mérite, dans lequel «à candidat égal», on préfère un rouge. Voilà ce que nous ont dit ces témoins. Qualité d'abord! Mais laissez-moi vous présenter mon excellent beauf libéral. Faites-en ce que vous voulez, monsieur le ministre!

Tu parles d'une affaire, un mois plus tard, le gars est nommé.

Autrement dit, la ligne de défense opposée à Marc Bellemare consistait à montrer comment il charrie - et on sait que ça peut lui arriver, comme dans le dossier Legendre. Comment sa vision paranoïaque déforme un très ordinaire monde d'influences tout ce qu'il y a de régulier et de banalement humain. Voici un père qui parle de son fils, un député de son commettant, un militant de son vieil ami... Inutile de sortir l'échafaud...

Mais hier!

Franco Fava, l'auteur même de toutes «pressions colossales» subies par Marc Bellemare, lui à côté duquel Charles Rondeau n'était qu'un figurant... Franco Fava nous a dit que cette histoire de nominations est un tissu de balivernes. Fruit d'hallucinations.

Retour au noir et blanc, avec le vrai, le faux, tout bien découpé, pas de gris! Il n'a jamais même parlé d'un candidat juge au ministre, d'ailleurs, il n'en a «rien à foutre» des nominations de juges!

Claude Dubois aurait demandé de caviarder ces gros mots, mais dans cette téléréalité, on a tout en direct, pensez si on est chanceux.

***

Ce n'est pas rien: il ne connaît aucun de ces individus et n'en a jamais parlé à Marc Bellemare. On ne peut donc pas discuter d'un problème d'interprétation ou de perception. Il est temps de sortir le psy et de rentrer le détecteur de mensonges.

Jusqu'ici, seul l'ancien sous-ministre Georges Lalande accrédite en partie le témoignage de Marc Bellemare. Surtout en tant que confident. De témoin direct des pressions incessantes de Franco Fava, il n'y en a pas. On comprend mieux, peut-être, cette insistance et les questions sur les notes de Marc Bellemare, les écritures avec des encres différentes, les petites notes collées de M. Lalande, l'allusion anachronique de Marc Bellemare à la commission Gomery qui n'existait pas, etc.

La commission est en face de deux versions en collision frontale.

Le contre-interrogatoire de Franco Fava sera donc crucial pour essayer de tirer tout ceci minimalement au clair, peut-être plus encore que celui de Jean Charest.

J'avoue quant à moi être un peu estomaqué par la tournure de l'affaire, soudainement très carrée.

***

Espérons que cette fois, le commissaire laissera plus de latitude à l'avocat de Marc Bellemare. Hier, le commissaire a inutilement perdu patience et limité le contre-interrogatoire de Charles Rondeau par Jean-François Bertrand... pour ensuite lui dire qu'il pouvait poser toutes les questions qu'il voulait, mais en 30 minutes!

Il est de coutume à la Cour suprême et à la Cour d'appel de limiter le temps des avocats: ils résument leurs arguments, déjà exposés dans des mémoires, et répondent aux questions des juges. M. Bastarache n'a d'ailleurs siégé qu'à ces tribunaux d'appel et n'a pas l'air d'avoir développé l'habileté et la souplesse que commande le pilotage de ce genre de barque, où il n'est pas tellement question de droit, mais de faits racontés par des témoins.

Un contre-interrogatoire de témoin, c'est une autre histoire. Certes, Me Bertrand a accusé la commission de partialité cet été, et il a été incisif dans ses questions. Mais il est le seul à être en position de contredire les témoins qui attaquent Marc Bellemare.

Hier, il posait des questions sur des thèmes abordés en interrogatoire principal sur la présence de M. Rondeau au cabinet du premier ministre et son influence dans les nominations aux organismes gouvernementaux. C'était la suite logique de l'interrogatoire de la veille. Et une façon me semble-t-il bien correcte de tester un peu la crédibilité du témoin - minimise-t-il son rôle? A-t-il une bonne mémoire? Quels sont ses intérêts? Etc.

Même si ces exercices sont oiseux par grands bouts, le commissaire doit les laisser faire tant qu'ils ne virent pas en attaques ou en insinuations vicieuses - ce qui n'était pas le cas. On a vu, d'ailleurs, que MM. Fava et Rondeau sont des grands garçons bien capables de se défendre.

Il sera question de la crédibilité du témoin... et de celle de la commission.