Si Gérald Tremblay pousse sa conversion aux idées de Richard Bergeron juste un peu plus loin, on le verra bientôt fumer la cigarette et courir des marathons.

Pour un changement, c'en est tout un! Hier encore, Gérald Tremblay semblait avoir laissé Montréal aux mains d'une clique d'entrepreneurs. Aujourd'hui, il épouse le credo anti-automobiles de Projet Montréal.

Ah, joli projet que cet échangeur Turcot suspendu à la Voie lactée. Très joli. Question esthétique, question urbaine, ça vaut mille fois mieux que le projet du ministère des Transports.

Qu'on fasse un parc dans la falaise Saint-Jacques, qu'on implante un tramway, qu'on construise des habitations, qu'on relie ces quartiers, très bien.

Mais réduire le transport routier de l'échangeur de 35%? Le faire passer de 290 000 à 180 000? Réduire le nombre de voies de 18 à 10?

Bien entendu, du point de vue cycliste et citoyen local, c'est une excellente chose. Du point de vue idéologique de Richard Bergeron, ce n'est pas surprenant non plus. Il a déjà suffisamment exprimé sa haine de l'automobile, on n'est pas surpris de le voir défendre ce nouvel échangeur.

Mais le maire de Montréal? On ne parle pas d'une nouvelle autoroute, qui viendrait ajouter à la circulation et accélérer la fuite de la ville. On parle de la réfection d'une interconnexion majeure, déjà existante, et essentielle à l'économie de Montréal et du Québec.

On ne peut pas rayer le tiers de la circulation d'un coup de crayon. Où iront ces véhicules? Vont-ils se déplacer pour encombrer les voies locales (dont il faut augmenter le nombre de manière importante, pour relier les parties de la ville)? Vont-ils aller en banlieue, pour déplacer leurs activités, une fois qu'on les aura chassés?

Mais non! Ils vont disparaître, grâce aux transports en commun!

Les fruits et légumes, moteurs, ordinateurs et autres marchandises qu'on peut déplacer en camion sont rarement vus avec un ticket d'autobus à la main. Mais bon, il n'y aura plus de voitures, alors les camions auront la voie libre, n'est-ce pas?

En tenant compte de l'augmentation de la population, il faudrait une hausse phénoménale de la fréquentation des transports en commun pour absorber cette clientèle. Et comme cette structure est là pour le prochain demi-siècle, un minimum de prudence s'impose. Il sera toujours temps de réserver des voies aux autobus électriques si on en a de trop.

Nulle part dans le programme du parti de Gérald Tremblay n'était-il question de ce projet, ou même d'une vague idée de ce projet. Vision Montréal proposait simplement l'aménagement d'un tramway et de mesures de transports en commun pendant la réfection de l'échangeur.

Jamais top tard pour avoir une bonne idée, dites-vous? Encore faut-il qu'elle le soit.

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On a beau trouver moche le projet du ministère des Transports, et il l'est, il faudrait y répondre avec sérieux.

Or, ce n'est pas un projet alternatif qu'a présenté Gérald Tremblay. C'est un manifeste idéologique. Non chiffré, non étudié, non validé. On va se retrouver dans la même pathétique division que dans le débat sur le CHUM.

D'un côté, les écolos, les gens du quartier, l'opposition à Québec et, bien entendu, la Santé publique. Tuez un automobiliste, sauvez un asthmatique!

De l'autre, les méchants camionneurs, le gouvernement Charest, les ingénieurs du Ministère, les banlieusards...

On le voit déjà, les deux camps ne parlent absolument pas du même sujet. Pour Québec, c'est tout bêtement un remplacement d'autoroute. Pour Montréal, c'est un projet d'urbanisme. Ça promet!

Il y a pourtant moyen de s'entendre pour faire les deux avant que le vieil échangeur nous tombe sur la gueule.

Mais pour ça, il faudrait que Québec voie là-dedans plus que de l'asphalte et du béton. Et que le maire prenne un peu ses distances avec Richard Bergeron.

Il est permis d'améliorer les transports en commun, de les rendre attrayants (on le fait sans cesse), sans écoeurer tous ceux qui osent prendre leur voiture pour venir travailler, consommer, se divertir à Montréal. Le prix du pétrole à lui seul travaille pour les transports en commun, au fait.

Lors de la dernière campagne, Dieu sait si on a accablé Gérald Tremblay. Mais il avait au moins sur ses adversaires l'avantage d'un certain pragmatisme économique. Voyez comment Louise Harel s'est opposée à un projet de condos dans un ancien couvent d'Outremont, projet pourtant très correct.

Mais à présenter des contre-propositions sans assise solide, comme cet échangeur superbe mais irréaliste, Gérald Tremblay fonce dans un mur politique.

L'étonnant échangisme politique du maire ne nous annonce rien de très constructif.