La mort. C'est tellement l'exact envers de ce que les Jeux olympiques sont censés être. La fête de la jeunesse, du sport dans ce qu'il a de plus inspirant.

Et en même temps, la mort de cet athlète de 21 ans arrive comme le symbole de ce que les Jeux olympiques sont devenus. Un spectacle planétaire destiné à éblouir toujours un peu plus. Piste plus rapide, plus dangereuse. Spectaculaire à mort.

 

C'est toujours sur le fil du rasoir que descendent les skieurs et les lugeurs, je sais bien. On meurt parfois, à ces jeux-là.

Mais comme par hasard, cette mort-ci ouvre les Jeux les plus coûteusement sécuritaires de l'histoire et n'en est que plus absurde. Chaque sac, chaque poche de pantalon sera fouillée, chaque véhicule passé aux rayons X.

Assoyez-vous confortablement en toute sécurité, les Jeux vont commencer...

Et de l'autre côté des contrôles de police, on a construit la piste de luge la plus rapide au monde. La plus dangereuse aussi.

N'allez pas croire qu'on avait négligé la sécurité médicale. J'ai visité, le mois dernier, les installations médicales de Whistler. Dans des maisons mobiles, on a bâti une clinique médicale équipée comme une salle d'opération d'un grand hôpital. On peut faire face aux pires accidents. Certains des médecins là-bas ont fait Turin, où rien de grave n'est arrivé. Tout est prévu. Au pire, le patient serait transporté à Vancouver après avoir été stabilisé sur place. «Le but est que tout ceci ne serve à rien», nous disait le responsable.

Nodar Kumaritashvili ne s'est pas même rendu à Vancouver. Il est mort à Whistler.

«Jusqu'à quel point on n'est pas juste des petits lemmings qu'ils lancent dans une piste, comme si on était des crash test dummies?» a demandé la lugeuse australienne Hannah Campbell-Pegg, après sa descente. Elle aussi a failli perdre contrôle. «C'est notre vie, après tout.» Votre vie, nos Jeux.

On dira que les accidents, ça arrive. On dira qu'en partant, faire de la luge est un sport dangereux librement consenti. Un lugeur est mort en 1964. Tout ça est bien vrai.

Mais vu que cet accident-là survient précisément dans une installation dont on nous dit depuis un an qu'elle est à l'extrême limite de la sécurité, il n'a pas cette allure de triste fatalité ou d'innocence.

La vie va continuer, les Jeux vont commencer ce matin, the show must go on. Que voulez-vous faire d'autre?

Mais tout de même. La mort, aux Jeux olympiques, ça fait désordre encore plus que d'ordinaire, vu qu'on célèbre la vie dans son paroxysme, dans ses ultimes fulgurances physiques.

Tout le monde s'est levé hier soir, quand la délégation géorgienne a défilé dans le stade.

Je les ai regardés passer, chapeau baissé, yeux rouges, drapeau bas. Richard Garneau a eu les bons mots. Tout a été bien fait. Mais en quelques secondes, c'était réglé, les Allemands arrivaient. Les jeux continuent, the show must go on, je le dis sans cynisme ni la moindre ironie, c'est simplement un état de fait, un désordre juste un peu lourd soudain, du fait qu'il se déploie si bruyamment.

Les enfants ne sont pas censés mourir avant les vieux. La vie devrait au moins arrêter, quelques instants de honte. Elle ne le fait jamais.

Les Jeux n'ont-ils pas été inventés pour ne plus penser à la mort? Du temps des Grecs, je veux dire les Anciens, il y avait une trêve pendant les Jeux. Maintenant la guerre continue. Hier en Afghanistan a commencé la plus vaste offensive militaire depuis 2001.

Pour le spectateur moyen et consommateur de commandites sportives, l'idée est tout de même de sortir de la pesanteur quotidienne et de la médiocrité. Entrer, fût-ce par procuration, dans la grandeur et dans l'exploit.

Alors de voir la mort s'inviter à la fête, et surtout de voir tout continuer, c'est en même temps assez beau et profondément scandaleux.

Un peu comme la vie, me direz-vous. Mais ne vient-on pas de dire que les humains avaient inventé les Jeux pour ne pas y penser?

yves.boisvert@lapresse.ca