La scène est indécente. D'un côté, le procureur indépendant du coroner, assisté des enquêteurs de la Sûreté du Québec. De l'autre, les avocats de la Fraternité des policiers de Montréal, des policiers impliqués dans la mort de Fredy Villanueva, du procureur général, du service de police de la Ville de Montréal...

Et ceux qui ont reçu des balles ne sont nulle part.

Il faut féliciter le procureur François Daviault pour avoir dit l'évidence, hier matin: le déséquilibre des forces juridiques en présence à l'enquête Villanueva en mine la crédibilité.

C'est au point où il se demandait publiquement hier matin si l'enquête pouvait procéder. Il y a apparence de «déséquilibre» et «d'injustice». Imaginerait-on une telle enquête si les policiers n'étaient pas représentés par avocat?

Bonne remarque, bonne question. Mais pourquoi le procureur ne les a-t-il pas faits plus tôt? Et comment se fait-il que trois heures plus tard, l'enquête commençait?

C'était une ultime tentative de forcer la main du ministre, apparemment. Le coroner a également manifesté son intention d'interpréter largement son mandat d'enquêter sur les causes et les circonstances de la mort de Fredy Villanueva - car c'est large, les circonstances.

Malheureusement, les familles des victimes n'ont pas saisi l'occasion. On leur a demandé si elles voulaient demeurer «parties intéressées». C'est-à-dire poser des questions et assigner des témoins.

Les avocats des jeunes hommes ont tous dit non. Parce qu'on ne paie pas leurs honoraires d'avocat, mais aussi parce que l'enquête n'est pas assez large. Donc, même avec un avocat payé, ils refusent d'en être.

Ils ont eu tort.

S'ils avaient rendue leur participation conditionnelle au paiement de leurs frais d'avocats, le coroner aurait été forcé d'agir. Comme rien dans la loi ne l'autorise à forcer le paiement, il aurait pu suspendre l'enquête en attendant que le ministre décide. Ensuite, le coroner aurait pu naturellement élargir la portée de l'enquête, ne serait-ce que parce les avocats des jeunes auraient posé des questions que personne d'autre ne posera. Il aurait dû en tenir compte dans son analyse.

Occasion ratée, donc.

Depuis le début, le ministre est inutilement inflexible et depuis le début, les avocats des familles et des victimes le sont tout autant. Ceux-là ont l'excuse d'avoir souffert physiquement et moralement de l'intervention policière et d'entretenir une compréhensible méfiance.

Le ministre Dupuis, lui, a raté toutes les occasions d'élever le débat. Il montre surtout qu'il ne veut pas parler de la situation à Montréal-Nord - juridiction municipale!

Inutile de déclencher une enquête de quatre ans. Mais qu'au moins la voix des victimes soit entendue dans un processus qui leur donne confiance un minimum.

Ça ne se fait jamais dans une enquête du coroner! dit le ministre. Et alors? C'est lui qui a choisi le format. Chaque cas est différent. Il ne s'agit pas d'un accident d'autobus. On parle des relations tendues entre la police et les minorités du nord-est de la ville. Le sujet est la méfiance vis-à-vis de l'État. Il ne suffit pas de dire que François Daviault est un avocat indépendant très respecté - c'est le cas. Par la force des choses il est appelé à présenter le point de vue des enquêteurs de la SQ. Toutes les forces policières, patronales et syndicales, sont représentées et généralement aux frais de l'État.

On nous dira que Québec paie les frais d'avocat de la famille Villanueva. Encore là, pour une portion bien limitée.

C'est donc une enquête bien mal engagée.

Le juge Robert Sansfaçon a tout de même dit que les parties intéressées pourraient revenir à la charge à tout moment. Il a clairement dit que si, après l'exposé des faits de l'événement, il devient pertinent d'élargir l'enquête, il le fera. C'est clairement son objectif. Ce n'est pas le format idéal, mais c'est déjà ça.

***

C'est maintenant la dernière chance de cette enquête. Le ministre vient de se faire dire par le procureur du coroner qu'il y a apparence d'injustice. Que lui faut-il de plus pour agir? Veut-il un rapport qui ne prêche qu'aux convertis, à ceux qui pensent que tout va bien à Montréal-Nord, à part quelques trouble-fêtes? Avec écrit en lettres de feu dessus: «apparemment injuste»?

Pas besoin d'enquête, à ce compte-là.

Le ministre doit absolument trouver une voie de communication avec les représentants des familles pour leur donner l'occasion de revenir à l'enquête. Il doit redonner de la crédibilité à cette enquête qui commence avec une déclaration officielle d'apparence d'injustice.

Mais il peut-être trop tard.