Le 2 janvier, à Chicoutimi, une femme de 36 ans appelle le 9-1-1. Ses trois enfants de 4, 7 et 12 ans et son mari sont retrouvés morts dans la maison. Elle est gravement blessée et on la conduit à l'hôpital.

D'après l'enquête (une lettre dans la maison, l'appel au 9-1-1, les interrogatoires), il s'agit d'un pacte de suicide entre les parents. On ne sait pas encore, et peut-être ne saura-t-on jamais quel désespoir et quelle dépression les ont entraînés au suicide. Mais ce pacte de suicide comportait l'assassinat de leurs trois enfants.

Ayant survécu, la mère est accusée du meurtre de ses trois enfants et d'avoir aidé son conjoint à se suicider. La Couronne n'a pas perdu de temps: la femme, encore sur son lit d'hôpital, a comparu par téléphone dès lundi.

Plusieurs lecteurs ont été choqués d'apprendre qu'on accusait cette mère aussi rapidement. Ne souffre-t-elle pas assez?

Sans doute, mais à quoi devrait-on s'attendre? À ce qu'on passe l'éponge?

Au-delà du simple fait qu'on n'a pas de raison d'attendre avant de déposer des accusations dans une affaire de meurtres, aussi triste soit-elle, il y a en plus une question technique.

À partir du moment où une personne est mise en état d'arrestation pour un meurtre, elle se trouve «détenue». Or, l'État a 24 heures pour faire comparaître une personne détenue. Dans le cas d'un meurtre, l'accusé ne peut même pas être mis en liberté à sa comparution - contrairement aux autres crimes. La police n'avait même pas le pouvoir de la laisser en liberté.

Dans le cas de cette femme, donc, les enquêteurs de la Sûreté du Québec sont venus la rencontrer lundi matin à l'hôpital, l'ont mise en garde et en arrestation et l'ont interrogée. On ne le leur reprochera sûrement pas. Techniquement, le délai de 24 heures commençait à courir, même si elle était à l'hôpital. Il était absolument normal de la faire comparaître le jour même. Il n'est pas rare que des personnes soient mises en accusation pendant qu'elles sont à l'hôpital, au fait.

L'infinie tristesse de l'événement ne change rien à l'affaire.

La question pourrait être posée autrement. Avant de songer à cette mère, sans aucun doute malheureuse, peut-on avoir une pensée pour ses enfants, qui n'ont rien demandé?

Entre 1997 et 2007, 68 enfants ont été tués au Québec par l'un de leurs parents. Dans 40 cas par le père, dans 28 cas par la mère. Très souvent, on n'en sera pas surpris, le drame familial se déroule sur fond de troubles mentaux profonds.

Il est rare qu'on s'apitoie sur les troubles mentaux et la souffrance du père qui a tué ses enfants. Tandis que lorsque la mère est accusée, un élan de compassion spontanée ou de pitié se manifeste - je m'inclus là-dedans. Une mère étant naturellement présumée «bonne», on en déduit qu'elle a commis ce geste horrible pour cause de maladie mentale. Le père accusé du même crime ne bénéficie pas aussi généreusement du même réflexe dans l'opinion. Il n'y a pas de raison de penser, pourtant, que ceux-ci ne sont pas tout autant affectés par la dépression ou la maladie mentale - même s'ils sont généralement moins diagnostiqués, essentiellement parce que les hommes, malheureusement, vont moins consulter ou chercher de l'aide.

La question ne devrait donc pas être: pourquoi accuser si vite cette femme (toujours présumée innocente). Mais plutôt: comment se fait-il qu'on soit impuissant à aider ces gens avant?

L'agression sexuelle et la violence «supplémentaire»

Encore une fois, il faut que la Cour d'appel du Québec vienne dire aux juges que le fait de ne pas battre sa victime en plus de la violer n'est pas un «facteur atténuant» dans une affaire d'agression sexuelle.

Le moment venu d'infliger une peine, le juge examine les facteurs aggravants (antécédents, absence de remords, etc.) et les facteurs atténuants (jeune âge, thérapie, etc.). Il met tout cela dans la balance et trouve un chiffre: trois ans d'emprisonnement, par exemple.

Très souvent, j'ai lu ou entendu des juges dire, au chapitre des facteurs atténuants, qu'il n'y a pas eu de «gestes de violence dépassant la violence intrinsèque d'une agression sexuelle».

Le raisonnement est fêlé. S'il y avait d'autres gestes de violence, ce seraient pourtant d'autres crimes! Voies de fait, agression sexuelle grave, etc. Il n'y a pas lieu de faire bénéficier un accusé du fait qu'il n'ait pas accompagné son agression d'un autre crime.

C'est pourtant ce qu'avait fait la juge Lynne Landry en 2006, dans l'affaire S.R. en infligeant une peine de 18 mois de prison avec sursis à un homme de 26 ans qui avait agressé une fille de 13 ans.

La Cour d'appel vient de remplacer cette peine par de la prison ferme pour 10 mois (ce qui est plus sévère, mais pas tant que ça), mais en soulignant ceci: l'absence de violence «supplémentaire» est neutre et ne doit pas favoriser l'accusé.

Espérons que le message sera entendu, cette fois.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca