Tant mieux si les dirigeants syndicaux sont contents, mais à vrai dire, ils n'ont rien gagné du tout dans le jugement de la Cour suprême sur l'assurance emploi.

D'abord, prendre l'argent de la «caisse» de l'assurance emploi et le verser pour diminuer le déficit est parfaitement légal, nous disent à l'unanimité les sept juges qui ont participé à la décision.

Au fait, il n'y a pas de «caisse» de l'assurance emploi depuis 1971. En ce sens qu'il n'y a pas quelque part une caisse fermée qui reçoit l'argent des cotisants et qui le redistribue en prestations ou en programmes.

Il y a simplement, dans le budget fédéral, un compte, que le gouvernement comble quand il est déficitaire et dont il peut gober les surplus à sa guise.

Enfin, pas tout à fait à sa guise, et c'est là la seule victoire des syndicats. Il faut une loi du Parlement pour le faire, car le changement de nature du régime de l'assurance emploi a transformé en taxe les contributions des employés et employeurs.

Or le vieux principe «pas de taxation sans représentation» tient toujours et il est inscrit à l'article 53 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la Loi constitutionnelle de 1867. Avant d'aller puiser de l'argent dans les poches des citoyens, il faut que les élus votent.

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Il se trouve que pour toutes les années litigieuses, les cotisations étaient prévues dans le budget fédéral, dûment voté par le Parlement.

Mais pas pour les années 2002, 2003 et 2005. On s'est contenté de déléguer le pouvoir de fixer le niveau des cotisations au gouvernement. Cela, écrit le juge Louis LeBel, dans des termes ambigus. Pour déléguer ce pouvoir au gouvernement, le Parlement devait être très précis.

Les articles de la Loi sur l'assurance emploi qui ont permis cette délégation sont donc inconstitutionnels, c'est-à-dire nuls.

Normalement, cela voudrait dire que ce qui a été fait en vertu d'articles nuls devrait être annulé. Il faudrait donc théoriquement que tout l'argent perçu en vertu de ces articles pendant ces trois années (des milliards) soit retourné aux cotisants.

Mais cette fois, on ne reprochera pas à la Cour suprême de manquer de sens pratique. On imagine le bordel fiscal causé par une telle annulation. La Cour, selon un mode qu'elle a utilisé quelques fois, suspend la déclaration d'inconstitutionnalité. Elle donne à Ottawa 12 mois pour trouver une solution à cette situation.

La solution n'est pas compliquée : adopter une loi fiscale rétroactive qui viendra valider ces cotisations et l'utilisation qu'en a faite le Trésor.

Victoire essentiellement technique, donc, qui laisse pleine liberté au gouvernement fédéral pour l'utilisation des surplus du régime.

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La Cour suprême rappelle qu'il a fallu modifier la Constitution pour créer l'assurance chômage (c'était le nom du régime jusqu'en 1996). Le Conseil privé de Londres (qui siégeait en appel de la Cour suprême jusqu'en 1949) avait en effet déclaré en 1937 que le fédéral ne pouvait pas créer une telle loi, car elle empiétait sur la compétence provinciale en matière de propriété et droits civils.

C'était en pleine crise économique et Ottawa a entrepris des négociations qui ont abouti, en 1940, à une modification de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle donne spécifiquement au fédéral le pouvoir de créer ce régime.

Au départ, il s'agissait d'un véritable système d'assurance contre le «risque social». Le travailleur contribuait à une caisse qui lui permettrait de toucher des prestations en cas de perte d'emploi.

À partir de 1971, vu les déficits du régime, Ottawa a aboli la notion de caisse. Il s'agit simplement d'un compte dans le Trésor public, renfloué en cas de déficit.

Sauf que les déficits sont devenus la règle. D'où une réforme en 1996, visant à éliminer ces déficits et à prévoir des coussins en cas de récession.

La réforme a tellement bien fonctionné de ce point de vue que des surplus colossaux sont apparus : plus de 40 milliards depuis. Il n'y a pas eu de magie : on a rendu l'accès au programme plus difficile et restreint les bénéfices.

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Ces surplus entre ce que le régime paie et ce que les cotisants envoient ont été affectés à la réduction du déficit fédéral. Ce qui a fait dire aux syndicats qu'on détournait l'argent du programme, en taxant les travailleurs et les employeurs. On plaidait aussi que le programme, destiné à venir en aide aux chômeurs, avait largement débordé son but initial pour pénétrer dans les champs de compétence provinciaux.

Arguments rejetés. D'abord, il n'y a pas de caisse, et si le Trésor a comblé les déficits, il peut récupérer les surplus.

Ensuite, ce programme a connu une évolution depuis 1940, mais tout à fait liée au but du programme : maintenir le lien du travailleur avec le marché du travail, notamment par des prestations, mais aussi par des mesures de réinsertion.

La Cour reconnaît cependant que le changement du programme en 1996 a transformé les cotisations en «imposition». Et c'est pourquoi il faut que cela soit voté clairement.

Mais sur le fond, il s'agit de «débats politiques qui échappent aux tribunaux», comme le dit sagement le juge LeBel.

C'est sur ce terrain et celui de l'opinion publique, bien en dehors de la Cour, que les syndicats ont réussi des avancées importantes. Le régime est plus équilibré et politiquement, il n'est plus acceptable d'obtenir artificiellement d'énormes surplus de ce programme dans le but détourné d'équilibrer les finances publiques.