Quoi, Nick Rizzuto déjà libre? Ne nous a-t-on pas dit qu'il est le parrain de toutes les mafias canadiennes? Ne l'avait-on pas arrêté après la plus grande rafle anti-mafia montréalaise? N'avait-on pas dit qu'on le tenait, finalement, lui qui n'avait au Canada qu'une condamnation à 25$ d'amende pour s'être trouvé dans une maison de jeu, en 1974...?

Oui, oui, oui et oui.

Mais les peines de prison ne se fondent pas sur la réputation des criminels, ni sur leur place supposée dans la hiérarchie des bandits. Encore faut-il les relier à un crime.

 

Or, s'il est le parrain de la mafia, Nick Rizzuto avait contre lui des accusations de deux de pique, pour ainsi dire.

C'est un peu par accident qu'on l'a accusé. L'enquête d'origine portait sur son fils, Vito, mais a bifurqué quand on a découvert dans l'écoute d'autres crimes... et que Vito s'est retrouvé devant la justice américaine.

Voilà donc où commence le malentendu médiatico-policier: les manchettes d'il y a deux ans annonçaient triomphalement l'arrestation du parrain. C'était vrai. L'opération policière était gigantesque, la preuve très forte. Tout aussi vrai. Mais les crimes les plus graves étaient reprochés à d'autres.

Quels étaient les crimes les plus graves? Des complots d'importation de cocaïne via l'aéroport Trudeau. Une dizaine d'employés, dont une douanière, ont été accusés de complicité. Corrompre un aussi grand nombre d'employés suppose des moyens importants. Il y avait aussi un complot pour importer 1,3 tonne de cocaïne par conteneur.

Les trois principaux acteurs (Giordano, Del Balso et Arcadi) ont été condamnés chacun à des peines de 15 ans de pénitencier, hier. Moins quatre ans, puisque la détention préventive compte double, ce qui fait 11 ans à compter d'aujourd'hui. Et comme il s'agit de gangstérisme, ils devront purger la moitié du reste au moins.

Mais contre Rizzuto, on n'aurait pas pu, malgré toute l'enquête comptant 1,2 million de conversations enregistrées, démontrer qu'il avait connaissance des trafics de stupéfiants. L'argent qu'on le voit rouler et mettre dans ses chaussettes provient d'une source incertaine. Les seules conversations qui permettent d'établir avec certitude la provenance de l'argent concernent le jeu illégal. On peut penser qu'il y a de l'argent de la drogue, mais la preuve est déficiente.

N'aurait-on pas pu l'accuser en vertu de la loi antigang? On l'a fait: il est condamné aussi pour possession de produits de la criminalité sous la direction d'une organisation criminelle (maximum 14 ans). C'est ce qui permet de le condamner à une peine de quatre ans. Il vient d'en purger deux en préventive, on le libère donc.

Il n'y a pas de preuve, même s'il reçoit 76 fois de l'argent, qu'il soit impliqué dans la corruption d'employés de l'aéroport, ni les trafics. Quand il use de son influence pour régler des conflits, c'est relativement aux paris sportifs illégaux.

Il n'y a donc pas de scandale ici, à moins de penser qu'on puisse condamner les gens sur la simple base de leur mauvaise réputation.

Maintenant, est-ce que toutes ces peines sont sévères? Non. Si les trois acteurs principaux avaient eu un procès et avaient été condamnés, ils en auraient pris pour 20, peut-être 25 ans.

Mais il aurait fallu leur faire un procès. Procès touchant un million de conversations traduites par 30 traducteurs jusqu'à maintenant, dont chacun aurait pu être appelé à témoigner. L'écheveau de la preuve n'était pas indémêlable, mais il aurait été difficile de terminer le procès en moins d'un an. Avec, comme toujours, un résultat incertain.

La poursuite était prête à faire le combat. Mais comme dans toute cause, il y a un nécessaire calcul de coûts et de bénéfices à faire. Et dans tous les cas, Rizzuto n'allait pas vers une peine de 10 ou 15 ans. La preuve n'y était pas. Il a pour tout autre antécédent une condamnation à six ans au Venezuela, il y a 20 ans.

Est-ce à dire que la justice se négocie? Bien entendu. Pas seulement dans cette affaire. Neuf causes sur dix, petites ou grandes, se terminent par un aveu de culpabilité et une peine négociée. Les accusés recherchent une peine moins lourde. La poursuite veut éviter un procès long et coûteux, incertain, qui mobilise policiers et procureurs.

Il faut être prêt à aller à la guerre, mais si on ne négociait jamais, le système s'écroulerait sous son poids.

Ce n'est pas idéal. Souvent les arrangements sont décevants dans la justice humaine. Mais celui-ci est en apparence très raisonnable, malgré la fausse impression qu'il donne de ménager le chef dans la négociation.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca