On a fait grand cas il y a quelques jours des louanges faites par Thomas Mulcair à Margaret Thatcher, il y a près de 15 ans, mais c'est plutôt un autre premier ministre britannique qui semble avoir eu la plus grande influence sur le chef du NPD. Et sur le NPD tout court.

Il y a un peu plus de 20 ans, un jeune député du nom de Tony Blair devenait chef du Parti travailliste, qu'il allait transformer en quelques années à peine de véhicule permanent d'opposition en solution de rechange crédible au pouvoir.

Toute comparaison est nécessairement imparfaite, mais Tony Blair, comme Thomas Mulcair, a dû décoller son parti de ses traditionnelles positions de gauche pour les amener vers le centre, là où se trouve la majorité des électeurs.

Dans ses mémoires publiées en 2010, Tony Blair raconte que sa première bataille fut de forcer son parti à abandonner la « clause 4 », un reliquat du début de l'ère industrielle qui préconisait le « common ownership », soit la nationalisation des moyens de production, de distribution et d'échange. Après un dur bras de fer, Tony Blair avait forcé le Parti travailliste à s'ouvrir au libre marché. C'est à la tête de ce « New Labour » que Blair est devenu, en 1997, le plus jeune premier ministre (43 ans) de l'histoire de la Grande-Bretagne. Pour la petite histoire, le premier ministre sortant de l'époque, John Major, avait imposé aux Britanniques une campagne de... trois mois, dans le but d'épuiser ses adversaires et de pousser son jeune rival travailliste inexpérimenté à trébucher.

Le NPD aussi a changé et n'eût été le pléonasme, on pourrait aussi parler du nouveau Nouveau Parti démocratique. L'amorce de ce changement vient de Jack Layton, qui, comme Tony Blair, a réduit le pouvoir des grands syndicats au sein de son parti, notamment en instaurant le principe d'« un membre, un vote » pour l'élection du chef. (Traditionnellement, les syndicats comptaient pour 25 % des voix dans l'élection du chef du NPD, mais cette mesure a été abolie en 2006.)

Thomas Mulcair a poursuivi sur la même lancée. Un stratège néo-démocrate m'avait expliqué que peu de temps après son élection, M. Mulcair avait prestement fermé les portes de son caucus et de la direction du parti aux dirigeants syndicaux nationaux.

Autre changement imposé par Thomas Mulcair, en 2013 : la disparition des références au socialisme dans la constitution du NPD. Un geste symbolique, comme Blair l'a fait en abrogeant la clause 4, mais nécessaire.

Depuis son élection comme chef du NPD, en 2012, Thomas Mulcair a patiemment poursuivi le recentrage de son parti, une tâche délicate. Voici ce qu'il disait en octobre 2011, lors de la course à la direction : « Je sais très bien que je ne suis pas le candidat de l'establishment du parti. Je veux sortir des sentiers battus, je veux recruter du nouveau monde. Einstein disait que la définition de la folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent. L'establishment a un comportement classique, normal, de peur du changement. »

Thomas Mulcair a réussi à libérer le NPD de son pire handicap électoral : l'image d'un parti socialiste d'une autre époque, dépensier, financièrement incompétent, centralisateur, contrôlé par les grands syndicats, idéologiquement incrusté à gauche et condamné à un rôle insignifiant dans l'opposition. En 1994, Tony Blair faisait le même constat de son parti, ce qui a provoqué le grand coup de barre vers le New Labour.

Transformation réussie pour le NPD ? Depuis quelques jours, Justin Trudeau accuse Thomas Mulcair d'être devenu un chantre de l'austérité, alors que Stephen Harper le présente comme un danger pour les finances publiques. Le chef du NPD se retrouve donc au centre, précisément là où il voulait être.

LE MOT MAUDIT QUI COMMENCE PAR R...

Vous trouvez qu'on parle beaucoup d'économie et de finances publiques dans cette campagne ? Attendez, nous n'avons eu que des hors-d'oeuvre pour le moment. Le plat de résistance risque de tomber sur la table demain, si jamais les chiffres dévoilés par Statistique Canada confirment que le pays est bel et bien en récession.

Personne ne souhaite le retour du mot maudit commençant par la lettre r, mais pour les adversaires de Stephen Harper, ce serait néanmoins un beau cadeau électoral, et les lignes de presse et de discours sont déjà prêtes.

Vendredi, nous apprenions que le gouvernement fédéral a enregistré un surplus de 5 milliards pour les trois premiers mois de l'année fiscale 2015-2016 (avril, mai et juin). Voilà certainement une bonne nouvelle pour les conservateurs, mais ce chiffre ne dit pas toute l'histoire.

D'abord, ce surplus repose, en partie, sur le fruit de la vente d'actions de GM, un bénéfice non récurrent, évidemment.

Ensuite, le prix du baril de pétrole, qui avait déjà amorcé sa chute, était tout de même à 53 $ en avril et autour de 60 $ en mai et juin. Il se situe entre 40 et 45 $ en ce moment. Grosse perte en vue pour Ottawa.

D'ailleurs, le modeste surplus de 1,9 milliard (plus 3 milliards de dollars de réserve) prévu par le ministre Joe Oliver, dans son budget d'avril, supposait un prix de 81 $ le baril. Il se vend près de la moitié moins en ce moment.

Cela dit, une récession confirmée compliquera aussi la vie de MM. Mulcair et Trudeau, qui devront expliquer où ils trouveront l'argent pour financer leurs engagements.

En ce sens, la prédiction de « déficits modestes pour quelques années » faite la semaine dernière par Justin Trudeau, quoique risquée politiquement, était peut-être plus réaliste que l'équilibre budgétaire promis par Thomas Mulcair et Stephen Harper.