Le plus grand héritage de Jacques Parizeau ?

Probablement d'avoir fait des gestes innovateurs, révolutionnaires même, pour l'économie du Québec. Des gestes dont on sent encore les effets tous les jours. Politiquement, personnellement, monsieur Parizeau n'avait pas l'aura de René Lévesque ou le charisme de Lucien Bouchard, mais il aura été, sans contredit, le politicien le plus important de l'histoire économique moderne du Québec.

Il n'aura fallu que quelques heures au gouvernement Couillard pour annoncer que l'immeuble de la Caisse de dépôt et placement du Québec portera le nom de l'ex-premier ministre, ce qui démontre la reconnaissance unanime de sa contribution à l'épanouissement économique du Québec post-Révolution tranquille.

La première fois que j'ai « couvert » Jacques Parizeau, c'était en 1994, lors d'une rencontre des dirigeants des provinces canadiennes et des États de l'est des États-Unis, dans la petite ville portuaire de Portsmouth, au New Hampshire. Ce soir-là, Mike Harris venait d'être élu premier ministre de l'Ontario et tout le monde s'inquiétait du « vent de droite » qui allait souffler sur cette province. « Monsieur », lui, avait simplement noté que M. Harris est un « partisan du libre-échange, ce qui est une très bonne nouvelle pour le Québec ». Une anecdote parmi 1000 qui résume toute la vie publique de Jacques Parizeau : l'épanouissement du Québec par le développement économique.

Sur le front politique, on l'a souvent caricaturé en belle-mère du PQ, mais en réalité, il était plutôt le gardien de phare, qui a maintes fois allumé le projecteur pour guider le bateau en rade.

Bien sûr, ses sorties publiques répétées ont souvent fait grincer des dents parmi sa propre famille politique. En 1998, Bernard Landry, vexé par une énième critique de son ancien chef, avait même affirmé que Jacques Parizeau était devenu « l'allié objectif de [ses] adversaires ».

Quelques années plus tard, Monsieur a expliqué ainsi au collègue Denis Lessard les réactions à ses sorties publiques : « C'est l'histoire de ma vie. Je dis ce que je pense et, plus encore, je fais ce que je dis ! » Puis, il a ajouté : « Je me suis fait tellement injurier comme politicien. J'étais l'ennemi public number one au Canada anglais. »

Ennemi public numéro un et même renégat à abattre, selon certains, dont la chroniqueuse Diane Francis, qui avait écrit qu'il faudrait arrêter et pendre Jacques Parizeau pour trahison.

Au Parti québécois, on retenait son souffle chaque fois qu'il prenait publiquement la parole ou qu'il publiait une lettre ouverte dans les journaux. Monsieur avait le sens du « timing » : il ressortait souvent juste avant un rassemblement du PQ, ce qui ne manquait pas, chaque fois, de bousculer les plans de communication du parti.

Jusqu'à tout récemment, il réfléchissait à voix haute sur l'état du Parti québécois et du mouvement souverainiste, qu'il qualifiait de « champ de ruines ».

Au PQ, plusieurs lui reprochent toutefois d'avoir contribué à ce champ de ruines, du moins auprès des immigrants, avec sa tristement célèbre déclaration sur l'« argent et le vote ethnique ». Réduire la carrière de M. Parizeau à cette seule phrase serait évidemment injuste et réducteur, mais elle le suivra dans les livres d'histoire et restera, pour bien des Québécois, un épisode pénible.

Dans sa dernière longue entrevue (accordée à Michel Lacombe, de Radio-Canada), M. Parizeau reprochait au PQ de se perdre dans des débats byzantins sur la date du prochain référendum et de ne pas y croire vraiment, au fond. « Est-ce que ce sera dans le premier mandat, ou non, peut-être dans le deuxième, divisé par la longueur de la barbe du capitaine ? Ben voyons, c'est ridicule, c'est enfantin ! »

On pourra reprocher à Jacques Parizeau de ne pas avoir toujours respecté le devoir de réserve, mais la transparence dont il a fait preuve dans sa démarche référendaire rend plus percutantes ses critiques. Il aura été le dernier chef souverainiste à se faire élire en promettant un référendum dans le premier mandat (dans un horizon de 12 mois, avait-il même précisé). C'était en 1994. Un peu plus de 20 ans plus tard, au moment où le PQ vient d'élire un nouveau chef, la question référendaire crée encore un malaise et alimente les débats. Des débats « oiseux », comme aimait le dire Monsieur.

Jacques Parizeau avait aussi autre chose qui semble avoir échappé à ses successeurs : le pouvoir de rassembler les jeunes. C'est le paradoxe : il faisait très « old school » avec ses complets trois pièces, mais il était, jusqu'à récemment, le seul leader souverainiste capable de remplir les amphithéâtres des cégeps. À première vue, il appartenait à un modèle de politicien d'une autre époque, mais il était aussi capable de se renouveler, d'être de son temps et de construire un discours économique cohérent qui savait rejoindre les jeunes.

Monsieur avait aussi le sens du « punch » et le don de nous ramener sur terre quand certains débats dérapaient.

À propos de la charte des valeurs québécoises, il dénonçait un moyen d'« ostraciser les femmes musulmanes ; c'en est gênant ».

À propos des odeurs de corruption au Parti libéral du Québec et des révélations de la commission Charbonneau : « Y fait chaud, ça pue, pis on est ben ! »

À l'ancien premier ministre albertain Ralph Klein, qui menaçait de couper les liens commerciaux avec un Québec indépendant : « Are they going to stop the train at the border and shoot the cows ? »

Aux fédéralistes qui pensaient pouvoir recoller des morceaux du Québec au Canada après un Oui : « Tough luck ! »

Parmi ses très nombreux écrits, un passage de la préface du livre Carré rouge du photographe Jacques Nadeau, consacré à la lutte étudiante de 2012, me revient, brûlant d'actualité : « Quel plaisir, sur mes vieux jours, de voir ces jeunes que l'on disait collectivement amorphes, montrer une telle vitalité pour résister à l'alliance trop étroite du pouvoir politique et de l'argent, à une gestion néolibérale et comptable de la société et à une démocratie du genre "j'ai gagné, t'as perdu, je fais ce que je veux" ».