S'il n'en tenait qu'à moi, j'abolirais Noël, cette fête de la surconsommation, des excès de table et des restants de dinde. De la course effrénée, aussi, et du stress de ne pas arriver au 25 décembre en même temps que tout le monde.

Je trouve en plus totalement contreproductif de prendre des jours de congé desquels on revient... encore plus fatigué.

Finalement, Noël, c'est aussi (en fait, c'est d'abord) la célébration de la naissance de Jésus, ce qui devrait être la dernière préoccupation d'un athée qui n'a même pas été baptisé.

Mais bon, il n'en tient pas qu'à moi. Noël, c'est d'abord la fête des enfants, et je veux bien, devant l'immense bonheur que leur procurent le sapin, les décorations, les cadeaux et la pause scolaire m'incliner et ne pas encourager le Grinch en moi.

Parce que même si ça commence à faire longtemps, j'ai moi aussi été enfant et j'adorais Noël.

D'aussi loin que je puisse me souvenir, ce sont des images de réveillons qui ont laissé, avant tout autre événement, une trace durable sur le disque dur de ma mémoire. C'est vague, bien sûr, un peu comme une photo floue, mais je me souviens de cette nuit de Noël 1969, rue Elgin à Granby, lorsque mes parents nous avaient réveillés, mon frère et moi, à minuit pour le dépouillement de l'arbre de Noël. J'avais 3 ans, c'est dire à quel point ce moment fut marquant. Les autres Noël de mon enfance se sont aussi inscrits durablement dans ma mémoire. C'était l'époque du P'tit Nanane, surnom que m'avait donné ma tribu en raison de mon inséparable pyjama-à-pattes jaune.

Nous n'étions pas riches, mais un ou deux cadeaux pour chacun des six enfants, ça faisait tout de même un sapin bien garni. Je me souviens clairement de la fascination qu'exerçait sur moi cet empilement de boîtes multicolores. À l'époque, j'aimais encore plus les emballages que ce qu'ils cachaient.

Je me souviens, surtout, de cet état d'émerveillement, état amplifié par le réveil au beau milieu de la nuit pour réveillonner. Noël, c'était une période de grand désordre organisé et permis: on se levait à minuit, pour se recoucher, vannés, aux petites heures; on bouffait plein de friandises, on commençait par les desserts et on avait même droit à des choses normalement proscrites, comme des chips et des boissons gazeuses.

Le fait d'être le dernier d'une trâlée de six enfants me conférait sans contredit un avantage aux câlins et aux petites attentions en ces nuits de fête.

À la limite, les cadeaux comme tels n'avaient pas vraiment d'importance. Des jouets, des jeux, des babioles, du chocolat... Ce qui comptait, c'était le moment, la fête, l'odeur dans la maison et la chaleur d'une grande famille réunie, ce qui allait nécessairement devenir plus rare en vieillissant.

C'est plus tard, lorsque j'ai découvert le catalogue Sears et les milliers de jouets que je n'aurais jamais, que le côté matériel de Noël s'est ajouté à la simple magie de l'événement.

Je me souviens encore de cette paire de talkies-walkies qui émettaient d'horribles crouches-crouchhhhhhhhhh, mais qui nous avaient permis cet hiver-là, mon frère Olivier et moi, de mieux coordonner nos attaques dans la guerre des forts qui faisait rage dans la rue Bélair.

On se servait aussi de ces précieux appareils pour se faire croire qu'on était de valeureux explorateurs en forêt hostile lorsqu'on se rendait glisser à la côte des «mille bosses». C'est drôle, mais aujourd'hui, tout ce secteur boisé a été rasé et mes parents habitent même un immeuble construit à l'endroit qui devait être, à l'époque, le début de la grande descente des «mille bosses».

Comme tous les enfants, j'ai cru au père Noël pendant quelques années, mais avec cinq frères et soeurs plus âgés, ce n'était qu'une question de temps avant que je n'apprenne la terrible vérité. Je ne me souviens pas ce que je lui avais fait (ça devait être grave!), mais mon frère Olivier était tellement fâché contre moi qu'il m'avait annoncé, par mesure de représailles, que le père Noël n'existe pas. Remarquez, la présence de pères Noël différents devant le Dominion, devant le Steinberg, à l'hôpital, à l'école, dans la rue Principale et bien d'autres endroits avait déjà semé en moi un doute persistant.

Parmi mes souvenirs impérissables, ce Noël des années 70 décrété «fait main» par ma mère. L'idée, vous l'aurez compris, était de ne s'offrir que des cadeaux fabriqués à la main, un genre de simplicité volontaire anticapitaliste avant l'heure. Près de 40 ans plus tard, je voudrais présenter mes excuses à l'ex-blonde de mon grand frère Philippe pour cet épouvantable abat-jour en laine brun et orange...