En parcourant les documents du budget Flaherty, hier en huis clos à Ottawa, je me suis rappelé Bernard Landry, alors ministre des Finances du gouvernement Bouchard à la fin des années 90, qui avait dit, en réaction à un budget de Paul Martin, qu'il lui arrivait d'envier son homologue fédéral, tellement la tâche est plus facile quand on peut pelleter ses problèmes dans la cour des autres.

À l'époque, il est vrai que le gouvernement Chrétien sabrait radicalement les transferts aux provinces pour atteindre l'équilibre budgétaire, ce qui n'est pas l'approche des conservateurs.

Cela ne les empêche pas, toutefois, d'imposer leurs décisions, comme on le voit clairement dans le début de réforme de la formation de la main-d'oeuvre.

En gros, Ottawa trouve que l'argent investi dans la formation professionnelle devrait être branché sur les besoins des employeurs, ce qui n'est pas le cas en ce moment. Solution du gouvernement Harper: une partie des fonds destinés à la formation de la main-d'oeuvre (500 millions) sera destinée exclusivement aux employeurs, qui décideront eux-mêmes, et non plus les gouvernements, des cours à offrir pour combler leurs besoins. Le fédéral versera, pour la formation d'un travailleur, une somme maximum de 5000$, mais les employeurs et les provinces devront ajouter la même somme.

La «subvention canadienne pour l'emploi», c'est le nom de la nouvelle créature, ne remet pas en question la compétence provinciale dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre, insiste-t-on à Ottawa, mais elle sous-entend, à l'évidence, que les provinces ont failli à la tâche puisque les besoins du marché du travail ne sont pas remplis.

La méthode Harper

Par ailleurs, le gouvernement Harper dit vouloir négocier avec les provinces, mais dans les faits, son idée est bien arrêtée. Voici comment on présente les choses dans le budget: «Puisque les ententes sur le marché du travail actuelles avec les provinces et les territoires viendront à échéance en 2014, le gouvernement du Canada négociera de nouvelles ententes qui s'articuleront autour de la subvention canadienne pour l'emploi.»

Autrement dit, vous pouvez discuter de l'itinéraire, mais la destination est déjà décidée. C'est la méthode Harper, celle qu'on a vue notamment dans les «négociations» sur les transferts fédéraux en santé.

La mécanique de cette mesure phare du nouveau budget Flaherty n'est pas encore très claire. Ce qui l'est, par contre, c'est qu'elle vient d'ouvrir une nouvelle bataille entre Québec et Ottawa.

Il faut rappeler ici que le Québec, autant sous des gouvernements libéraux que péquistes, a tenté pendant des décennies d'obtenir qu'Ottawa lui cède la responsabilité de la formation de la main-d'oeuvre, ce qu'il a finalement réussi en 1997. Selon cette entente, Ottawa envoie à Québec sa part de fonds destinée à la formation de la main-d'oeuvre et c'est la province qui gère ses programmes. Comme en santé ou en éducation, notamment.

Cela ne changera pas, répète le gouvernement fédéral, Emploi-Québec reste maître d'oeuvre de la formation de la main-d'oeuvre. Vrai, mais une partie des fonds devra nécessairement être dépensée dans le nouveau programme de «subvention canadienne pour l'emploi». L'argent sera donc dépensé par Québec, mais dans un cadre décidé par Ottawa.

En outre, la province n'aura plus vraiment pleine maîtrise de la formation, du moins pour cette partie, puisque ce sont les entreprises qui décideront. En plus, Québec devra lui aussi dépenser sa part, selon les paramètres fédéraux (5000$ maximum par travailleur). Québec sera donc libre de faire... ce que le fédéral lui dit de faire. On a vu des guerres fédérales-provinciales éclater pour beaucoup moins que cela. Déjà que la réforme de l'assurance-emploi passe mal à Québec...

On reconnaît dans cette nouvelle mesure le parti pris des conservateurs pour l'entreprise privée, mais on sent aussi la frustration du gouvernement fédéral devant les résultats des provinces en formation de la main-d'oeuvre, en particulier au Québec. Déjà, à l'époque du gouvernement de Jean Chrétien, on se plaignait à Ottawa que le Québec ne savait pas gérer la formation de la main-d'oeuvre efficacement.

Le gouvernement Harper sait fort bien que Québec va se braquer, il s'y attend même, mais il fait le pari que la population canadienne sera d'accord avec son idée d'arrimer les besoins des employeurs à la formation offerte.

«Nous savons que le gouvernement Marois a un plan de gouvernance souverainiste, nous avons un plan de développement économique», a résumé hier un conseiller de Stephen Harper.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca