Nous étions cinq autour de la table, ce soir-là chez Marie-France Bazzo, à bien connaître l'invité de la semaine, Jean-François Lisée. Réaction synchronisée après son passage sur le plateau: mais c'est qu'il a perdu de sa superbe, le bonhomme!

Hésitant dans ses réponses, qui étaient d'ailleurs assez peu convaincantes, un sourire timide aux lèvres et, en général, un langage corporel qui disait qu'il avait envie d'être ailleurs.

C'était il y a quelques semaines, après une première session d'automne difficile et avant le Sommet sur l'enseignement supérieur au dénouement somme toute positif pour le gouvernement. Le ministre Lisée, comme son gouvernement et plusieurs de ses collègues, était déstabilisé, incertain, mal assuré.

Question de faire le point sur ce gouvernement, six mois (aujourd'hui même) après son élection, je suis allé dîner avec Jean-François Lisée la semaine dernière. J'ai voulu connaître son bilan de six mois au gouvernement en lui lançant cette simple question: «Pis?»

Bon, vérification faite, la superbe n'a pas complètement disparu! De toute évidence, la conclusion paisible du Sommet sur l'enseignement supérieur a eu sur M. Lisée, comme sur ses collègues à qui j'ai parlé au cours des derniers jours, un effet lénifiant.

Il est vrai que les premiers mois de ce gouvernement ont été éprouvants, ce que personne ne nie au Parti québécois (PQ), en privé. Recul dans le désordre sur la taxe santé, sur l'imposition des gains en capital, sur les coupes en recherche, démission d'un ministre (Daniel Breton), ballons d'essai rapidement dégonflés, tergiversations sur le développement des ressources naturelles, vote à l'Assemblée nationale d'une motion dénonçant... ses propres compressions, bref, la courbe d'apprentissage a été ardue.

«Ça commence à se placer, mais nous avons eu des problèmes de cohésion, c'est vrai», me disait, il y a quelques jours, un conseiller politique aguerri.

Il y a aussi eu des bons coups: adoption de nouvelles lois sur l'intégrité des contrats publics et sur le financement des partis politiques, notamment. Les conclusions du Sommet sur l'enseignement supérieur, par ailleurs, ne font pas l'unanimité, mais personne ne peut dire que la catastrophe annoncée s'est produite. Au contraire, cet exercice s'est déroulé comme du papier à musique.

Jean-François Lisée ne s'attarde pas trop sur les erreurs et il attribue une partie des problèmes du gouvernement à la situation financière héritée du précédent régime.

«Personnellement, j'ai fait des erreurs, je me suis excusé, et on est passé à autre chose», dit-il, ajoutant que son passage en politique a été «libérateur».

Même si plusieurs retiennent, de ces six premiers mois, un puissant parfum d'improvisation, M. Lisée croit plutôt que son gouvernement est en train de mettre en place des réformes majeures et durables. Historiques, même, selon lui. Il n'hésite pas à comparer l'importance de ce que fait le gouvernement Marois à l'héritage de celui de René Lévesque.

Sur l'intégrité, d'abord. Le financement des partis, mais aussi la chasse aux corrompus. «On a l'impression, avance M. Lisée, que depuis le 4 septembre, il n'y a plus aucun frein aux enquêtes des différentes escouades, elles peuvent aller partout, frapper à toutes les portes, ce qui n'était pas le cas sous les libéraux. On veut que le Québec devienne l'endroit le moins hospitalier pour les crapules!»

Le ministre fait référence, entre autres, à l'opération Diligence, qui aurait été, laisse-t-il entendre, soumise à des pressions politiques.

Les «chantiers» (mot à la mode au PQ) à venir sont énormes. Le plus gros morceau: la révision de loi 101, le projet de loi 14, qui annonce des débats passionnés.

Le gouvernement déposera avant la fin du printemps son plan pour retenir les francophones à Montréal, la politique linguistique, affirme M. Lisée, la plus significative depuis les réformes de Camille Laurin.

L'immigration est aussi dans la mire du gouvernement. «Ça n'a pas de sens ce qu'on a fait en immigration, dit M. Lisée. Environ 40% des immigrants n'ont aucune connaissance du français quand ils arrivent au Québec et entre 15 et 17% des Maghrébins sont au chômage. Il faut revoir nos politiques.»

Également sur la planche à dessin: la Charte de la laïcité, dont la première ébauche devrait être rendue publique au printemps.

De l'aveu de certains acteurs directement impliqués dans ce dossier, la tâche s'annonce plus ardue que prévu. L'État devrait-il, par exemple, définir légalement ce qu'est un accommodement raisonnable? «Peut-être, répond Jean-François Lisée. Les tribunaux l'ont fait, peut-être que le gouvernement devrait aussi le faire. On verra.»

Un autre projet dont on risque de beaucoup entendre parler au cours des prochains mois: l'électrification des transports, un immense projet auquel tient énormément Pauline Marois.

«Si on arrive à utiliser nos surplus en électricité pour les transports, réduisant ainsi notre dépendance au pétrole, cela aura un impact majeur sur le Québec, dit M. Lisée. Ce sera pour Mme Marois un héritage aussi important que l'ont été les RÉA [régime d'épargne-actions] pour Lévesque.»

Et la souveraineté, dans tout ça?

M. Lisée compte beaucoup sur... Stephen Harper, dont les rapports avec Québec sont de plus en plus distants. «Chez les jeunes, dit-il, les sondages disent que l'attachement au Québec est stable, mais que l'attachement au Canada est en baisse constante. Après, tout peut arriver, comme on l'a vu en 95...»

Le lunch terminé, j'ai voulu prendre la note (rien de somptueux, croyez-moi, plat de pâtes, même pas de vin!), ce à quoi le ministre Lisée s'est vigoureusement opposé.

«Non, non, on ne peut plus faire ça, c'est chacun sa facture maintenant!», m'a-t-il dit.

Bon, il semble que la maladie de la facture qui a frappé Ottawa il y a quelques années vient de toucher Québec.

Et puis, au moment de se quitter, ceci:

«Au fait, Vincent, j'ai une suggestion pour la FPJQ [Fédération professionnelle des journalistes du Québec]: au prochain congrès, il faudrait donner un prix au journaliste qui avait prévu le succès du Sommet sur l'éducation...»

OK, il n'a peut-être plus toute sa superbe, mais il reste tout de même un bon fond!

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca