Après des décennies de domination nationale, les temps sont durs pour les libéraux du Canada, tant sur la scène fédérale que provinciale. Décimés à Ottawa, en voie d'être zappés dans l'Ouest (seule la Colombie-Britannique a encore un gouvernement libéral, et pas pour longtemps), minoritaires et mal en point en Ontario, chassés du pouvoir au Québec et pratiquement disparus dans l'Est (il reste l'Île-du-Prince-Édouard), les libéraux traversent une période sombre.

Le grand rêve de Stephen Harper de voir disparaître les libéraux de la carte politique canadienne serait-il sur le point de se réaliser? Les prochains mois, cruciaux pour les libéraux fédéraux et québécois, le diront.

À Québec comme à Ottawa, les libéraux ne doivent pas seulement choisir un chef au printemps prochain, ils doivent aussi retrouver leur âme. En bref, ce n'est pas seulement qui dirigera, mais que reste-t-il à diriger. Et pour aller où?

À première vue, la situation est moins défavorable au Parti libéral du Québec (PLQ) qu'au Parti libéral du Canada (PLC), qui lancent tous les deux ces jours-ci leur course à la direction.

Aidé, sans doute, par sa surprenante résilience lors des dernières élections, le PLQ attire encore des candidats de qualité. N'importe quel parti serait heureux de compter trois ex-ministres comme Raymond Bachand, Pierre Moreau et Philippe Couillard sur les rangs pour la succession. Les défis qui se dressent devant le PLQ sont toutefois énormes et les constats plutôt durs faits par Raymond Bachand et Pierre Moreau au cours des derniers jours (Philippe Couillard, critique lui aussi, plongera demain) démontrent qu'ils ont compris que l'heure n'est pas à la complaisance.

En gros, MM. Bachand et Moreau constatent l'abandon du PLQ par les francophones, et en particulier les jeunes et les nationalistes, le manque de débat au sein du parti, ainsi qu'une détérioration de la «marque» libérale.

«Je veux que le Parti libéral redevienne le grand parti du Québec», a déclaré Raymond Bachand, vendredi. Pour y arriver, il faut redevenir un parti de débats. [...] Il faut redonner la parole à nos militants.»

C'est curieux, tout de même, que ce qui était présenté par les membres du gouvernement Charest comme un exemple de discipline il y a quelques semaines est aujourd'hui décrié comme une entrave aux débats entre militants. Vous vous souvenez du conseil général du PLQ, en 2010, lorsque aucun des 500 militants n'avait appuyé l'idée de débattre de la pertinence de créer une commission d'enquête sur la construction...

En entendant M. Bachand, je me suis aussi souvenu qu'il était sorti prestement de la salle des délibérations de ce même conseil général pour enterrer vivante une résolution tout juste votée par les membres de son parti et qui réclamait une révision du régime de redevances dans le secteur minier.

C'est aussi avec un certain étonnement que j'ai entendu Pierre Moreau parler hier du printemps chaud qui a secoué le Québec. «Nous devons tirer certaines leçons des manifestations auxquelles nous avons assisté jour après jour et auxquelles s'est jointe une partie importante de la jeunesse québécoise», a-t-il dit. M. Moreau ne vient-il pas de faire campagne derrière un chef et un parti qui a diabolisé la «rue» ?

MM. Bachand, Moreau (et sous peu Couillard) veulent tous redonner à l'institution qu'est le PLQ ses lettres de noblesse, lançant un appel aux nationalistes, clé de voûte électorale au Québec. Mais que reste-t-il du nationalisme au sein de ce parti? Par quels gestes concrets ce nationalisme s'est-il exprimé au cours de la décennie Charest? Que reste-t-il même de l'institution du PLQ, une puissante machine politique dont le principal objectif depuis des années n'était que de gagner des élections?

Les candidats à la direction du PLQ peuvent bien vanter la mémoire des Jean Lesage et Robert Bourassa, mais cela rappelle surtout qu'elles sont bien loin, les années florissantes de leur parti.

La course est encore bien trop jeune pour faire des prédictions, mais il semble, selon les échos des organisateurs, que Philippe Couillard jouisse déjà d'une solide avance dans une majorité de circonscriptions.

Comme tout meneur dans une course, M. Couillard se fera attaquer de toutes parts, mais il a néanmoins un avantage sérieux sur ses deux rivaux: il n'était pas au gouvernement au cours des quatre dernières années. On ne pourra donc pas lui reprocher de s'être opposé à la création d'une commission d'enquête, d'avoir défendu un Plan Nord mal foutu ou d'avoir approuvé la taxe santé.

Et en cas de (probables) révélations embarrassantes à la commission Charbonneau, Philippe Couillard pourra toujours dire qu'il ne faisait plus partie du gouvernement libéral depuis quelques années.

Et le PLC?

Du côté du Parti libéral du Canada, la course non officielle sera lancée avec l'annonce de Justin Trudeau, ce soir à Montréal.

Les libéraux fédéraux, qui ont perdu le pouvoir il y a six ans, pourraient entretenir longuement leurs cousins provinciaux sur la perte d'identité propre d'une institution politique en déclin.

Justin Trudeau est-il l'homme de la situation? Il est jeune (40 ans), traîne un nom très lourd à porter et a démontré dans le passé qu'il peut se mettre dans le pétrin avec des déclarations fracassantes. Toutefois, les Canadiens découvriront aussi qu'il a mûri, qu'il est serein malgré les défis et très confiant malgré les critiques.

Ses origines libérales sont inscrites dans son ADN, mais peut-il redonner au PLC sa crédibilité perdue? Surtout, peut-il lui redonner une âme?