La couverture des caravanes des chefs fédéraux est-elle en voie de devenir un luxe que les médias n'ont plus les moyens de se payer?

On dirait bien, en effet. Pour certains organes de presse, d'ailleurs, l'exercice est déjà trop cher.

Petite devinette pour commencer: selon vous, combien coûte aux médias une place (pour un journaliste ou un cameraman ou un photographe, etc.) dans les caravanes du Parti conservateur et du Parti libéral?

Autour de 50 000$, seulement pour les transports, les repas pendant les heures de campagne et les installations techniques (salle de presse) dans les hôtels et dans les autocars. À cette somme, il faut évidemment ajouter les heures supplémentaires, les chambres d'hôtel et les allocations quotidiennes (pour certains médias).

Les tarifs sont moins élevés au NPD, qui a sciemment baissé ses prix pour garder un minimum de médias à bord, soit autour de 30 000$ pour la campagne complète.

Au Bloc, évidemment, c'est moins cher (autour de 10 000$) puisque le parti ne sillonne que les circonscriptions du Québec et utilise très peu l'avion.

Les médias ont aussi la possibilité de choisir des «forfaits» à la semaine (autour de 10 000$ chez les libéraux et les conservateurs) ou à la journée (entre 1500 et 2000$ pour les campagnes pancanadiennes).

De telles dépenses, dans le contexte difficile que l'on connaît, forcent évidemment les médias à faire des choix. Surtout que, rappelons-le, il s'agit de la quatrième campagne en sept ans.

Faire des choix, vous vous en doutez, ça veut dire assigner moins de journalistes aux différentes campagnes, et souvent pour de plus courtes périodes.

À La Presse, on couvre les caravanes conservatrice et libérale durant toute la campagne, celle du Bloc aussi et, sporadiquement, celle du NPD. La Presse est le seul journal francophone à faire ce choix.

La Presse Canadienne, dont le mandat est d'alimenter ses clients partout au pays, se doit de couvrir les caravanes, mais on a sabré ici et là: pas de journaliste anglophone avec le Bloc, pas de francophone avec le NPD et un francophone seulement pour la moitié de la campagne libérale.

«On n'a pas le choix de couvrir parce que nous sommes une agence, mais si nous mettons un anglophone et un francophone, plus un photographe dans les quatre campagnes, imaginez les coûts. On trouve ça prohibitif», explique Jean Roy, patron de la PC à Montréal.

Même Radio-Canada, qui couvrait «mur à mur» jusqu'à ce jour, doit sabrer les dépenses. La radio comptera sur un journaliste à bord des caravanes tout le long, mais la télévision se limitera à un reporter la première et la dernière semaine. Il a même été question de n'envoyer personne dans les campagnes, comme le fait TVA. Pour la technique, il y a quelques années déjà que les réseaux se sont entendus pour utiliser une équipe commune (pool) sur chaque campagne, ce qui diminue les coûts.

Il faut savoir qu'il y a quelques années à peine, lors de la campagne fédérale de 2004, il en coûtait aux médias entre 30 000$ et 33 000$ chez les conservateurs et les libéraux (12 000$ au Bloc, qui a baissé ses tarifs depuis) pour une place dans la caravane, soit 20 000$ de moins qu'aujourd'hui!

Comment expliquer, alors, de telles hausses?

Les partis expliquent qu'il en coûte plus cher pour réserver des avions et pour les faire voler. Soit, mais 20 000$ d'augmentation en 7 ans?

Les partis affirment aussi qu'ils couvrent tout juste leurs frais, quand ils ne sont pas déficitaires.

Pourtant, un ancien ministre conservateur m'avait expliqué, après la campagne de 2008, que son parti «faisait de l'argent» avec les médias pendant une campagne. Je lui avais alors souligné que les médias se trouvaient donc à faire une contribution involontaire aux partis politiques, ce qui n'a aucun sens. Il m'avait répondu: «Un parti politique, c'est une business, on gère ça comme une business»...

Devant l'augmentation importante et soutenue des tarifs des campagnes, c'est à se demander combien de temps encore les médias joueront le jeu.

De toute façon, si c'est pour avoir le «luxe» de poser quatre questions par jour pour tous les journalistes, et d'être tenu à l'écart par des gardes du corps et des barrières, comme avec Stephen Harper, ou pour assister à des mises en scène prévisibles et souvent grossières, est-ce vraiment la peine?

Si, au moins, les campagnes permettaient aux chefs de rencontrer du vrai monde. Mais non, au contraire, en cette ère de tyrannie de l'image, tout est contrôlé et l'imprévu est la plus grande hantise des stratèges de campagne.

Par ailleurs, les campagnes, avec leurs autocars, leur avion, leurs lents déplacements d'une ville à l'autre, d'un hôtel à l'autre ou du centre-ville vers l'aéroport en pleine heure de pointe, ont, aujourd'hui plus que jamais, un côté préhistorique. On dirait un mammouth qui se déplace dans un placard à balai.

Il est tout de même intéressant de noter que l'un des moments forts de cette première semaine de campagne, le duel entre MM. Ignatieff et Harper à propos d'un débat à deux, s'est déroulé... sur Twitter. Les journalistes ont suivi leur échange, bien assis dans l'autocar de campagne, les yeux rivés sur leur téléphone intelligent.

Et puis, ils ont prestement «re-twitté» la nouvelle.