La politique de l'«engagement constructif» du Canada envers Cuba serait-elle sur le point de triompher, même à Washington?

C'est probable, mais Ottawa n'en tirera ni mérite ni plaisir, parce qu'à en juger par la réaction de Stephen Harper, en fin de semaine au cinquième Sommet des Amériques, le sort de Cuba l'indiffère complètement.

En 1994, à Miami, lors du premier Sommet, le gouvernement Chrétien avait fait pression pour que Cuba, le seul État exclu, soit de la rencontre. En vain, l'administration Clinton s'y opposait.

 

En 1998, à Santiago du Chili, Jean Chrétien avait volé le show (et fait rager Bill Clinton) en annonçant qu'il se rendrait à Cuba en visite officielle tout de suite après le Sommet des Amériques. Ce qu'il avait fait, d'ailleurs, au grand déplaisir de Washington.

Par la suite, le Canada a un peu relâché la pression, lors des Sommets de Québec en 2001 et de Buenos Aires en 2005, mais Ottawa prônait toujours l'inclusion de Cuba autour de la grande table des 34 États.

Maintenant que la chose semble possible, du moins à portée de main, maintenant que les États-Unis entrouvrent la porte près de 50 ans après l'avoir cadenassée avec leur embargo de 1961, le Canada affiche la plus belle indifférence envers Cuba.

Le principal facteur de réchauffement envers Cuba est, bien sûr, l'arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis.

Les leaders des Amériques ont pu saisir la réelle portée de ce changement de régime à Washington.

Les 32 autres nations réunies à Trinité-et-Tobago pour ce Sommet des Amériques auront certainement remarqué que le Canada aussi a changé de leader. Et au moment précis où Washington se montre disposé à suivre la doctrine d'ouverture défendue par le Canada depuis des décennies, le gouvernement canadien retourne à la mentalité de guerre froide.

M. Harper est arrivé au Sommet de Port of Spain en disant souhaiter que la relation Cuba-États-Unis ne prenne pas toute la place. Il a parlé presque exclusivement de commerce alors qu'il est enfin possible de parler des droits de l'homme et de démocratie.

Le premier ministre a fini par se dire d'accord avec la levée de l'embargo sur Cuba, mais visiblement, le coeur n'y était pas.

De toute évidence, Stephen Harper n'a pas encore saisi l'ampleur et la signification de l'arrivée de Barack Obama.

On dit souvent, avec raison, que le Canada est un bien petit acteur sur la scène internationale et que son influence est minime. Mais s'il y a un endroit au monde, toutefois, où le Canada peut et devrait jouer un rôle de leader, c'est bien à Cuba, un pays avec lequel nous avons une relation privilégiée depuis près de 50 ans.

M. Obama parle d'un «second début» avec Cuba. Nous, Canadiens, et surtout Québécois, vivons ce second début depuis un quart de siècle.

Nos empreintes sont partout à Cuba. Sur les plages, bien sûr, mais aussi dans l'industrie hôtelière, dans celle de la construction, de l'agroalimentaire, des mines, etc. Voilà le moment de protéger et de consolider notre place à Cuba.

Lorsque l'administration Clinton a adopté, en1996, la loi Helms-Burton, punissant les entreprises faisant affaire à Cuba dans des secteurs où des entreprises américaines ont été expropriées après la révolution de 1959, le gouvernement Chrétien a riposté avec sa propre loi.

Voici ce que Jean Chrétien disait devant l'Economic Club de New York en 1998, à propos de Cuba: «Vous ne pouvez aspirer à imposer votre volonté à tous les pays du monde, parce qu'alors, ils vont tous se retourner contre vous. Par exemple, vous n'aimez pas Fidel Castro. Eh bien, ça vous regarde. C'est un dictateur, c'est vrai, mais vous avez fait affaire avec d'autres dictateurs avant lui dans cette partie du monde. Et si vous voulez vous débarrasser de lui, laissez les Américains aller là-bas avec leurs dollars. Mais n'y allez pas trop vite, parce que lorsque vous arriverez, vous serez accueillis dans des hôtels canadiens.»

Nous avons, il est vrai, une vieille relation politique avec Fidel Castro, relation qui nous permettrait de jouer les entremetteurs.

Pierre Elliott Trudeau, en 1976, avait fait un pied de nez au président Nixon en visitant Cuba.

Même John Diefenbaker, un conservateur qui avait vécu les débuts de la guerre froide, avait proposé (avec arrogance, raconte-t-on) au président Kennedy de régler le problème cubain après le fiasco de la baie des Cochons.

Ce même Kennedy, selon ses collaborateurs de l'époque, voulait rétablir les relations avec Cuba et il avait l'intention d'en faire un élément majeur de son deuxième mandat (politiquement, il aurait été trop risqué de faire un geste avant l'élection présidentielle de 1964). JFK discutait de Cuba avec ses conseillers quelques jours seulement avant son assassinat, en 1963.

Que Stephen Harper critique le régime dictatorial des frères Castro soit. Il est vrai que Cuba, même après 30 ans de bonnes relations avec le Canada, a résisté à épouser ses principes démocratiques.

Mais la porte, enfin, s'entrouvre. M. Harper vante le libre-échange. Justement, voilà le moment tant attendu d'inclure Cuba.

Être petit sur la scène internationale, comme le Canada, ne devrait pas nous obliger à penser petit. M. Harper comprend-il bien l'importance des changements en cours dans notre hémisphère et leur sens historique?

Barack Obama parle d'ouverture et de relations d'égal à égal. Stephen Harper, lui, se qualifie de «conservateur anticommuniste» et dépeint Cuba comme «antagoniste», comme un «État voyou» et comme un régime «socialiste de la guerre froide».

MM. Obama et Harper ont beau être de la même génération, ils ne semblent pas vivre à la même époque.

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