Douloureux dilemme pour Jean Charest: d'un côté, si les conservateurs font une percée importante au Québec, cela affaiblit les souverainistes, donc le Parti québécois. D'un autre, cela redonne à l'ADQ, alliée de Stephen Harper, une vigueur inespérée.

Ajoutez à cela que son rôle de premier ministre du Québec lui impose de défendre d'abord les intérêts de sa province mais que, en tant qu'ancien chef conservateur, il a toujours des sympathies pour ce parti. Chose certaine, il n'en a aucune pour les libéraux fédéraux de Stéphane Dion.

 

Cette campagne électorale se transforme donc en exercice de funambule pour Jean Charest, et le 14 octobre n'arrivera jamais assez tôt pour les libéraux provinciaux.

Les efforts des conservateurs pour retrouver une place au Québec doivent rappeler des souvenirs à Jean Charest, lui qui était dans les souliers de Stephen Harper en 1997.

Au printemps 97, Jean Charest, comme Stephen Harper, s'était mis à croire à une vague bleue au Québec. Il avait durement labouré le sol électoral dans les Cantons-de-l'Est, son coin de pays, et dans le Centre-du-Québec (comme les conservateurs d'aujourd'hui).

Dans un hélicoptère nolisé pour une folle journée de campagne, M. Charest avait même confié à ma collègue (et sa future ministre de la Culture) Christine St-Pierre qu'il pourrait arracher jusqu'à 40 circonscriptions au Québec.

C'eût été toute une vague. Les rêves de Jean Charest se sont toutefois brisés avant la fin de la campagne et la vague est devenue vaguelette, le PC ne prenant finalement que cinq circonscriptions.

Le même scénario se reproduira-t-il cette année pour Stephen Harper? Chez les conservateurs, les plus optimistes parlent de 20 à 25 gains, mais les chiffres actuels forcent les plus réalistes à limiter leurs ambitions à huit ou neuf nouveaux sièges.

Stephen Harper a au moins trois avantages majeurs par rapport à son prédécesseur, Jean Charest: il n'a pas les libéraux dans les pattes, le Bloc souffre d'usure avancée et il peut compter sur une solide alliance avec un parti provincial, l'ADQ.

Sur le terrain, il se passe quelque chose, c'est certain, les bloquistes sont les premiers à le reconnaître. Mais quoi? Une vaguelette ou une marée?

Au bureau électoral du bloquiste Serge Cardin, dans Sherbrooke, l'inquiétude était palpable, jeudi après-midi. Comme les survivants d'un tsunami, les bloquistes savent qu'il y a des secousses sur la faille électorale et ils redoutent de nouveau la montée des eaux.

Les bloquistes de Sherbrooke se souviennent fort bien du tsunami Mulroney, en 1984. Leur député a été réélu en 2006 avec 16 000 voix de majorité, mais ils craignent néanmoins que l'eau passe par-dessus la digue.

«On travaille fort, on est prêts, on aura 18 téléphonistes ce soir pour appeler nos électeurs, mais on ne sait pas, si ça part comme une vague, comme en 84... On ne sait jamais, avec une vague», dit une organisatrice rencontrée avec deux de ses collègues au local bloquiste, rue King.

Le plus ironique de la chose, c'est que ces bénévoles souverainistes travaillaient pour... Jean Charest en 1984, l'époque du beau risque et de l'alliance Mulroney-souverainistes, avant la création du Bloc québécois.

«On n'avait pas vu venir la vague, en 1984, avec notre jeune candidat, Jean Charest», raconte un organisateur, en levant les yeux des listes électorales. Puis, il ajoute, en secouant la tête: «C'est nous qui avons fait élire Jean Charest. Nous, les souverainistes!»

Les bloquistes sont inquiets. Pourtant, quelques kilomètres plus loin, toujours rue King, on ne peut pas dire que ça grouille d'activité chez le candidat conservateur, André Bachand. Vrai, le candidat et sa suite étaient partis entendre Stephen Harper à Drummondville jeudi après-midi mais, en soirée, le local était presque vide et les téléphones (outil essentiel pour faire du pointage) n'étaient toujours pas installés.

Même topo à Granby, circonscription de Shefford, quelques heures plus tôt. Le candidat conservateur, Jean Lambert, lisait tranquillement les journaux dans son local vide de la rue principale pendant que son adversaire bloquiste, le député sortant Robert Vincent, faisait du porte-à-porte. Le local du Bloc était équipé pour la bataille et des bénévoles étaient déjà penchés sur les listes électorales.

Les conservateurs peuvent rêver d'une vague, mais ils vont devoir s'activer s'ils veulent percer dans les 27 circonscriptions ciblées par le «national» au Québec. Pour le moment, la campagne tourne au ralenti.

Les conservateurs ont toutefois un souci de moins: les libéraux sont invisibles.

Dans Brome-Missisquoi, l'ancien député libéral Denis Paradis mène une forte campagne, mais la division du vote fédéraliste entre son parti, le Parti conservateur et l'indépendant David Marler (l'homme qui a révélé l'affaire du in and out) pourrait favoriser le député bloquiste sortant, Christian Ouellet.

Dans Sherbrooke, la candidate Nathalie Goguen est à peine visible sur de très rares et très discrètes pancartes, écrasées par les grands panneaux du Bloc et des conservateurs. Ne cherchez pas le local électoral, les libéraux n'en ont pas.

Dans Shefford, les libéraux ont bien un local, mais leur candidat, Bernard Demers, est rentré au pays mercredi, 11 jours après le début de la campagne.

Les vitrines du petit local du boulevard Boivin étaient encore tendues de papier brun. À l'intérieur, une bénévole, seule, tentait tant bien que mal de faire avec les moyens du bord.

«Cette année, le Parti a décidé à Montréal que nous n'aurons même pas de représentants dans les bureaux de scrutin pour économiser de l'argent. Je ne sais pas comment on va surveiller le vote et nous assurer que notre vote sorte!» lance, découragée, Gisèle Côté, fidèle libérale dans Shefford depuis l'époque de Jean Lapierre (fin des années 70).

Cette année, la guerre électorale au Québec se fera donc entre bloquistes et conservateurs. Une guerre déjà bien engagée sur certains champs de bataille.

Dans Trois-Rivières, cette semaine, les deux candidates se sont échangé quelques tirs par médias interposés.

«Le Bloc, c'est l'opposition éternelle, a lancé la conservatrice Claude Durand en lançant sa campagne. N'importe quelle chambre de commerce a plus de pouvoir que tous les députés du Bloc.»

«Le Parti conservateur, c'est une vague de droite qui va s'essouffler d'ici au 14 octobre», a répliqué la députée bloquiste sortante, Paule Brunelle.

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