C'est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Mardi, sans que personne ne s'y attende, surtout pas les cochers, le maire Coderre a décrété un moratoire d'un an sur les calèches à Montréal.

Ce faisant, il a relancé un vieux débat : pour ou contre les chevaux en ville ?

Laissez-moi deviner : vous être contre.

Les chevaux en ville, c'est inhumain, cruel et dangereux. Surtout en plein été quand il fait 30 degrés. Ou en hiver quand il fait -20 °C. La place du cheval est dans les champs, pas dans les rues. Toronto, New York, Londres, Paris et Pékin ont banni les calèches depuis longtemps. Qu'est-ce que Montréal attendait ?

Non, je me suis trompée : vous êtes pour.

Les calèches, c'est un symbole montréalais fort. On les voit sur les cartes postales et les photos vantant Montréal à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. On y monte en amoureux, on y fait grimper les enfants, on les loue pour un mariage. Le cheval fait partie de notre histoire. Il insuffle romantisme et nostalgie à l'industrie du tourisme.

Dans les faits, vous êtes divisés. Aussi nombreux, ou presque, d'un côté que de l'autre.

Moi, pour tout vous dire, je suis plutôt pour. J'aime les chevaux. J'aime la ville. J'aime les chevaux en ville. Aussi simple que ça. 

N'allez pas croire que je ne me soucie pas de leur bien-être. Au contraire. Je pense que la santé et le bonheur de ces bêtes, travaillantes, sensibles et intelligentes, est au coeur du débat.

Et même si la Société de la protection des animaux (SPA) trouve que la pratique des calèches dans les centres-villes est archaïque, je persiste à croire qu'elle a sa place si elle est bien encadrée. À Québec, ça fonctionne très bien, et personne ne remet en question son existence.

Mais je m'explique mal la décision du maire, aussi brutale que soudaine, d'imposer un moratoire. Après tout, les problèmes du business montréalais de la calèche, s'ils existent et je crois que c'est le cas, sont connus de tous depuis des années. Pourquoi ne pas avoir agi plus tôt pour tenter de les résoudre ?

N'aurait-il pas mieux valu mettre en place des mesures de contrôle plus sévères au lieu d'interdire les calèches et de priver les cochers de leur job, au moment où la saison allait prendre son envol ?

D'autant plus que M. Coderre a en main depuis plusieurs mois les recommandations du rapport qu'il a commandé l'an dernier à l'organisme Cheval Cheval, à la suite de reportages sur la maltraitance des chevaux de calèche. Vous vous en souvenez peut-être : en juillet 2015, un cheval avait glissé sur une plaque de métal installée au coin des rues Peel et Notre-Dame, dans une zone de travaux.

Plus récemment, en avril, une collision entre une calèche sans cocher et une voiture, dans le quartier Griffintown, a fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux.

J'ai fait mes recherches et découvert que le nom de Luc Desparois revient souvent quand il est question de règlements non respectés ou de maltraitance des chevaux de calèche. M. Desparois est propriétaire de l'écurie Lucky Luc, rue Bassin, dans Griffintown. Hier matin, je suis allée faire un tour. J'ai trouvé une écurie dans un état pitoyable. C'est malpropre, vieux et décrépit. Les chevaux sont gardés dans de petits enclos qu'on appelle des entre-deux. Trop petits pour qu'ils puissent bouger aisément.

Je ne peux pas me prononcer sur la qualité des soins qu'ils reçoivent ou du foin qu'ils mangent. Mais je sais que les chevaux de calèche doivent être vus par un vétérinaire deux fois par année. S'ils n'étaient pas en bonne santé, on ne les laisserait pas travailler.

Je peux aussi vous dire que M. Desparois n'a pas l'intention de respecter le moratoire, ni de rendre ses permis à la Ville. Il me l'a dit.

L'écrivaine et écuyère Marie-Hélène Poitras connaît bien l'homme. Il a inspiré un personnage de son roman Griffintown, paru en 2012 et nourri par sa fascination pour les chevaux de calèche, « les plus imposants et aussi les plus amicaux », jure-t-elle. Elle a visité son écurie de Griffintown, mais aussi celle de la cavalerie de la police de Montréal.

La différence est frappante. « C'est comme si on comparait une piquerie du Centre-Sud avec un palace d'Outremont, dit-elle. L'écurie de la police montée est impeccable, et les chevaux sont vraiment bien traités. Tous les chevaux devraient avoir droit aux mêmes conditions. »

Je suis bien d'accord.

Or, selon Marie-Hélène Poitras, qui a été cochère à Montréal pendant deux étés, en 2002 et 2003, 80 % des chevaux de calèche sont chez Lucky Luc. Le propriétaire, M. Desparois, détient sept permis de calèche, mais en exploite au moins le double sur les 24 délivrés par la Ville. M. Coderre est au courant de la situation, qui ne date pas d'hier.

Mais interdire la circulation des calèches pendant un an pour revoir les règles de l'industrie, comme il vient de le faire, ne règle pas le problème. Il faut loger les chevaux, les nourrir et s'en occuper. Qui va payer ? Avec quel argent ? Sans parler du fait que plusieurs personnes se retrouvent sans emploi.

La Ville va rembourser les détenteurs de permis : 550 $ par calèche et 120 $ par cocher. Mais ce ne sont pas 550 $, et encore moins 120 $, qui vont compenser la saison perdue. On peut comprendre que le maire veuille faire le ménage, mais ce n'est pas une raison pour le faire de manière intempestive.