Cela fait trois ans que le comité D'Amours a présenté sa rente longévité, une belle innovation visant à résoudre le manque chronique d'épargne retraite des Québécois. Depuis, rien. Silence radio.

Mais avec l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, la rénovation de notre système de retraite revient à l'ordre du jour. Ce n'est pas trop tôt.

Dans son premier budget, déposé le 22 mars, le ministre des Finances Bill Morneau a indiqué qu'il souhaite prendre une décision collective, avec les provinces, d'ici la fin de 2016. Ça laisse neuf mois seulement. Mais tout est possible !

Surtout que l'Ontario met de la pression. Le gouvernement de Kathleen Wynne qui était bien déterminé à aller de l'avant avec l'introduction de son propre régime de retraite a reporté son projet dans l'optique d'une reprise des pourparlers avec les provinces.

Il semble donc que les astres soient enfin alignés pour une véritable réforme pancanadienne de notre système de retraite qui date des années 60... à moins que Québec ne joue les trouble-fête, ce qui serait le comble.

D'accord, la province a mis en place le Régime volontaire d'épargne retraite (RVER) pour aider les travailleurs qui n'ont pas de régime de retraite à cotiser davantage. Mais c'est loin d'être suffisant pour compenser l'effritement de notre système de retraite.

Ne nous mettons pas la tête dans le sable : le manque d'épargne est un problème réel. Si rien n'est fait, de larges pans de la population (20 % à 40 % selon les études) ne pourront pas maintenir leur train de vie à la retraite, même si certains experts estiment que la crise est exagérée. Parmi eux, Fred Vettese, actuaire en chef de Morneau Shepell qui a justement publié un livre à ce sujet avec son ancien patron... Bill Morneau.

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Mais revenons à la rente longévité. Le reste du Canada aurait avantage à y jeter un sérieux coup d'oeil, car il s'agit d'une solution moins coûteuse et mieux ciblée.

Pour l'instant, Ottawa songe plutôt à bonifier le Régime de pensions du Canada (RPC) et son pendant au Québec, la Régie des rentes du Québec (RRQ).

Et l'Ontario a dessiné son futur régime sur le modèle du RPC. En fait, le régime ontarien offrirait aux retraités une rente équivalente à 15 % de leurs revenus d'emploi, en sus des 25 % du RPC/RRQ.

Le hic, c'est que les travailleurs autonomes ne seraient pas couverts, une omission de taille. En outre, les entreprises qui offrent déjà un régime de retraite seraient exemptées, ce qui pose un défi administratif majeur, puisque les travailleurs changent d'emploi souvent au cours de leur carrière.

Le tout coûterait 3,8 % du salaire (1,9 % employeur/employé). C'est presque le double du taux de cotisation de la rente longévité qui ne coûterait que 2 % (1 % employeur/employé).

Au départ, les cotisations à la rente longévité devaient s'établir à 3,3 %, soit une facture de 4 milliards par année.

Mais le comité D'Amours vient de refaire ses calculs pour utiliser des hypothèses comparables à celle du régime ontarien. Dans ce nouveau scénario, les travailleurs pourraient toucher une rente équivalente à 16 % de leur salaire, à partir de 75 ans, après avoir cotisé 40 ans.

Pour les entreprises, la rente longévité représente donc une position de compromis plus abordable. En commission parlementaire, Bombardier avait d'ailleurs pressé Québec de la mettre en place « dès que possible ».

Voilà qui devrait inspirer les lobbys du patronat qui sont férocement opposés à toute forme de cotisations additionnelles aux régimes de retraite !

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Évidemment, si la rente longévité est moins coûteuse, c'est qu'elle serait versée seulement à partir de 75 ans. Pourquoi si tard ?

C'est que cette rente cible spécifiquement le risque de survivre à ses épargnes, probablement la plus grande source d'incertitude et d'angoisse financière des retraités. En effet, personne ne peut prévoir l'âge de sa mort.

En groupe, on peut se fonder sur l'espérance de vie qui oscille autour de 80 ans. Mais individuellement, il faut prévoir de l'argent jusqu'à 95 ans, pour être certain de ne pas en manquer. Ainsi, les gens qui épargnent seuls doivent économiser 30 % de plus ! D'où l'intérêt d'épargner en groupe pour mutualiser le risque.

C'est exactement ce que fait la rente longévité, tout en laissant aux individus la responsabilité d'épargner pour leurs premières années de retraite. De quoi calmer les investisseurs qui ne veulent pas se faire dicter leurs choix de placement. De quoi apaiser l'industrie des services financiers qui redoute une « nationalisation » de la retraite.

Certains diront qu'en versant la rente seulement à 75 ans, on désavantage les personnes plus pauvres qui ont une espérance de vie plus courte. C'est vrai. Et ça l'est déjà pour les autres régimes de retraite.

Mais il faut savoir que les travailleurs plus pauvres cotisent moins à la RRQ, puisque les cotisations ne s'appliquent pas sur la première tranche de 3500 $ de revenus. Une telle exemption, plus élevée s'il le faut, pourrait donc être appliquée à la rente longévité pour éviter de faire surcotiser les personnes à faibles revenus.

En discutant avec Ottawa, on pourrait aussi trouver une solution pour éviter que les aînés à faibles revenus voient fondre trop vite leur Supplément de revenu garanti (SRG) parce qu'on les a forcés à cotiser à la rente longévité durant leur carrière.

Il suffit d'être inventif ! Pourquoi reproduire une solution des années 60, comme le RPC/RRQ, quand on peut dessiner un outil mieux adapté au monde de demain ?