Dure journée pour les riches ! Dans leur premier budget déposé hier, les libéraux leur retirent plusieurs avantages consentis au cours d'une décennie de règne conservateur pour redistribuer les largesses à la classe moyenne et aux plus démunis.

Rarement a-t-on vu un tel tête-à-queue fiscal ! Les gagnants d'hier sont les perdants d'aujourd'hui. Et c'est très bien ainsi.

Depuis 30 ans, la croissance économique a beaucoup moins profité à la classe moyenne. À preuve : le revenu familial réel des 0,01 % des plus fortunés a augmenté trois fois plus vite que celui des 90 % qui gagnent moins. Que la fiscalité rétablisse un peu l'équilibre paraît tout à fait justifié.

Mais pour financer cet élan de générosité, Ottawa doit aussi délier les cordons de sa bourse. Et pas mal plus que prévu. Il faut croire que le premier ministre Justin Trudeau avait utilisé une calculatrice rose en campagne électorale.

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Ottawa consacrera 1,45 milliard par an pour améliorer l'assurance-emploi et près de 670 millions pour bonifier de près de 1000 $ par année le Supplément de revenu garanti pour les aînés qui n'ont presque rien d'autre que les prestations fédérales. Ce n'est pas du luxe, car la pension d'Ottawa fond comme une peau de chagrin depuis 40 ans à cause de sa méthode d'indexation.

Mais la pièce maîtresse du premier budget du ministre des Finances Bill Morneau est sans contredit la création de la nouvelle Allocation canadienne pour enfants (ACE).

Construite sur les bases de l'actuelle Prestation fiscale canadienne pour enfants, l'ACE remplace également la Prestation universelle pour la garde d'enfants (PUGE) et le fractionnement de revenus des familles, deux mesures-phares instaurées par les conservateurs.

Ce regroupement simplifiera la vie des familles qui recevront, dès juillet, un seul montant tous les mois.

Autre avantage : la nouvelle allocation sera non imposable, contrairement à la PUGE que les familles devaient partiellement rembourser lors de leur déclaration de revenus. Désagréable !

Désormais, les familles qui gagnent moins de 30 000 $ recevront une prestation annuelle maximale de 6400 $ par enfant de moins de 6 ans et de 5400 $ par enfant de 6 à 17 ans. Ces montants fondront graduellement au fur et à mesure que le revenu familial augmente et disparaîtront entièrement pour les familles qui gagnent entre 157 000 et 250 000 $ (selon l'âge des enfants et leur nombre).

La vaste majorité des familles aura plus d'argent dans ses poches, en particulier celles à revenus modestes.

Par exemple, des parents gagnant 50 000 $ (30 000 $/20 000 $) recevront désormais 5000 $ pour leur enfant de moins de 6 ans. Ils auront ainsi 2262 $ de plus qu'avec les anciennes mesures fédérales pour les familles, a calculé Stéphane Leblanc, CPA et fiscaliste associé chez EY.

Mais cette belle réforme sera plus coûteuse que prévu, même si Ottawa a discrètement taillé les paramètres pour réduire les coûts de sa promesse.

Alors que les libéraux prévoyaient ajouter 2 milliards pour bonifier l'aide aux familles, la refonte nécessitera finalement 3,4 milliards de nouveaux investissements de la part d'Ottawa. Oups ! C'est 1,4 milliard de plus.

Cela rappelle les « petites » erreurs de calcul dans les changements apportés à la grille d'impôt des particuliers.

Depuis le 1er janvier, Ottawa a réduit de 22 % à 20,5 % le taux d'imposition sur les revenus entre 45 000 $ et 90 000 $ environ, procurant une économie d'impôt maximale de 560 $. Ce cadeau à la classe moyenne devait être entièrement financé par une hausse de 29 % à 33 % sur les revenus excédant 200 000 $.

Mais en fin de compte, l'opération dégarnira les coffres de l'État de 1,5 milliard par an. Re-oups !

Voilà qui explique en partie pourquoi le déficit est moins « modeste » que prévu.

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Toujours avec l'idée de favoriser les familles plus modestes, Ottawa a décidé d'abolir les crédits d'impôt pour études et manuels scolaires qui procuraient une économie annuelle de 465 $ d'impôt à un étudiant inscrit à des études postsecondaires à temps plein.

Le hic, c'est que les étudiants qui ne transféraient pas le crédit à leurs parents devaient souvent attendre la fin de leurs études pour profiter de l'économie d'impôt. Le coup de main fiscal de près d'un demi-milliard par année arrivait donc trop tard.

À la place, Ottawa va redéployer l'argent dans les programmes de bourse d'études qui profiteront aux étudiants à plus faibles revenus, au moment où ils en ont vraiment besoin. Québec, qui a un programme de bourses distinct, aura droit à sa part. Reste à voir comment il utilisera l'argent...

Ottawa éliminera aussi le crédit d'impôt pour les activités physiques et artistiques des enfants, un autre héritage du gouvernement Harper.

Cet effort de simplification est une excellente idée : ce genre de mesures complique inutilement les déclarations de revenus et est surtout utilisé par les familles riches.

Mais il faudrait que les libéraux m'expliquent pourquoi ils ont ajouté un minuscule crédit destiné aux enseignants qui achètent du matériel scolaire pour faire des expériences dans leurs classes.

Ah ! les petits bonbons fiscaux pour séduire l'électorat ! Difficile de s'en passer.