Éradiquer le prêt usuraire, c'est un peu comme jouer au jeu de la taupe: vous avez beau taper à grands coups de marteau sur la vilaine bête, elle ressort invariablement par un autre trou.

En théorie, le prêt sur salaire est banni au Québec. Et c'est tant mieux, car les taux d'intérêt dépassent 500%. Mais de plus en plus, ces prêteurs se tournent vers l'internet où l'on trouve une foule de sites non réglementés qui proposent une solution miracle aux consommateurs pris à la gorge:

- Lorsque vous avez un urgent besoin de fonds, n'hésitez pas à faire une demande de prêt sur salaire, offre l'un.

- Tous les jours sont un jour de paie, claironne l'autre.

- L'argent peut se retrouver dans votre compte en aussi peu que 20 minutes, affirme un autre encore.

Depuis son apparition au milieu des années 90, l'industrie du prêt sur salaire s'est beaucoup développée dans les autres provinces canadiennes, selon la Canadian Payday Loan Association. Aujourd'hui, on dénombre 1400 succursales à travers le pays, judicieusement installées dans les quartiers les plus défavorisés. Chaque année, près de deux millions de Canadiens font appel au prêt sur salaire.

À leurs risques et périls

Avec le prêt sur salaire, les consommateurs empruntent un petit montant qu'ils remboursent avec le prochain chèque de paie. Cela permet de faire face à un imprévu, comme la voiture qui tombe en panne. Mais trop souvent, les consommateurs contractent un nouveau prêt après avoir remboursé le premier. Puis un autre et encore un autre, ce qui les entraîne dans une spirale d'endettement.

Beaucoup se retrouvent au bord de la faillite. Credit Canada Debt Solutions, une firme spécialisée en gestion budgétaire, révélait justement lundi que 13% des personnes qui ont fait appel à ses services depuis deux ans avaient eu recours au prêt sur salaire.

Il faut dire qu'un grand nombre de consommateurs sont sur la corde raide, comme le prouve une série de données dévoilées depuis une semaine.

Le taux d'endettement a atteint 164,6% au deuxième trimestre, deux fois plus qu'au début des années 90.

Plus du tiers des Québécois (37%) vivent d'une paie à l'autre, selon la plus récente mouture d'un sondage annuel de l'Association canadienne de la paie. Sans aucun coussin financier, ils risquent de tomber dans le rouge au moindre imprévu.

Beaucoup sont dans une situation intenable, si l'on se fie au nouvel indice du logement locatif dévoilé par le Réseau québécois des OSBL d'habitation. L'indice démontre que 18% des Québécois consacrent plus de la moitié de leurs revenus au loyer, un niveau extrêmement inquiétant.

Mais revenons au prêt sur salaire. Comme je vous le disais, ce type d'emprunt est interdit au Québec, car la province n'a jamais voulu embarquer dans le jeu d'Ottawa.

En 2007, le gouvernement fédéral a permis aux prêteurs à court terme d'imposer des intérêts dépassant le taux criminel de 60% dans les provinces qui désiraient encadrer le prêt sur salaire.

Six provinces ont instauré des règles. Elles exigent que les prêteurs soient enregistrés, que leurs prêts n'excèdent pas 1500$ sur un maximum de 62 jours. Leurs frais sont aussi plafonnés entre 17 et 25$ par tranche de 100$ empruntés, selon les provinces.

C'est exorbitant! À 21$ par 100$, par exemple, un prêt de 300$ coûte 63$ pour deux semaines, ce qui équivaut à 546% par année, calcule l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC).

C'est pourquoi l'ACFC suggère aux consommateurs à court d'argent d'utiliser une autre forme de prêt moins coûteuse comme une marge de crédit qui coûtera 5,81$ (au lieu de 63$), une protection à découvert (7,19$) ou même une avance de fonds sur la carte de crédit (7,42$).

Si vous voulez mon conseil, allez plutôt cogner à la porte d'une association d'économie familiale (ACEF), qui vous aidera à remettre votre budget en ordre avant qu'il ne soit trop tard.

Au Québec, les prêteurs sur salaire n'ont pas pignon sur rue. Mais la population n'est pas à l'abri pour autant, car de nombreux prêteurs douteux s'affichent sur l'internet, comme le démontre une récente étude du Conseil des consommateurs du Canada.

La plupart du temps, ces prêteurs virtuels ne sont enregistrés nulle part. Certains ne sont même pas au Canada. Ils ne respectent aucune règle. Et ils ont des pratiques encore plus néfastes pour les consommateurs.

Entre autres, ils demandent aux emprunteurs leur numéro de compte bancaire et la réponse à leurs questions de sécurité. Mais dites-moi quel recours aura l'emprunteur si un prêteur illégitime établi aux îles Caïmans décide de vider son compte de banque? Aucun.

D'autres «courtiers en prêt» québécois pure laine jouent sur les mots pour offrir du prêt usuraire déguisé, comme je vous l'ai déjà raconté dans une chronique en mai dernier. Ils se défendent d'imposer des taux de 300%, prétextant que le courtier qui impose les frais et le prêteur sont deux entités différentes.

Depuis, l'Office de la protection du consommateur (OPC) a délivré un constat d'infraction contre Gestion ODC et Gestion Multi Crédit. L'affaire sera bientôt entendue par les tribunaux qui devront trancher si les frais de courtage doivent faire partie du taux de crédit, comme le soutient l'OPC.

Le projet de loi 24 déposé en 2011 aurait permis de régler cette question une bonne fois pour toutes. Mais il est mort au feuilleton. Toutefois, l'actuelle ministre de la Justice a affirmé son intention de moderniser les règles relatives au crédit à la consommation. L'OPC travaille présentement là-dessus. Excellente nouvelle.

Mais peu importe la loi, il faudra mettre les efforts pour l'appliquer. Sinon la taupe pointera vite le bout de son nez.