Aller voir un syndic de faillite? L'idée rebute plusieurs consommateurs surendettés. Attirés par la publicité, ils préfèrent aller voir d'autres intermédiaires qui les guident, parfois sans trop leur dire, vers une proposition de consommateur.

Cette solution de rechange à la faillite, qui gagne en popularité, permet de conserver la maison, l'auto... et l'honneur. Elle consiste à offrir aux créanciers le remboursement d'une portion des dettes, sans intérêts, sur une durée maximale de cinq ans.

Le hic, c'est que les syndics sont les seuls à pouvoir faire une proposition de consommateur, une procédure réglementée par le fédéral.

Alors, à quoi bon payer un intermédiaire quand le syndic qui fera la proposition de consommateur sera obligé de refaire le travail... et de vous facturer les honoraires prévus par la loi?

À quoi bon consulter un intermédiaire pour reprendre le contrôle de son budget quand les associations coopératives d'économie familiale (ACEF) peuvent épauler gratuitement les consommateurs surendettés?

Les personnes endettées jusqu'au cou n'ont certainement pas le luxe de payer en double! Surtout que les services des intermédiaires coûtent très cher. Et les clients doivent payer à l'avance.

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Dans un contrat que j'ai obtenu, Le Petit Cochon rose (Groupe Solution2) exige, par exemple, des honoraires de 2127$, avant même le début du mandat, à un client qui n'a pas les moyens de payer sur-le-champ. Qu'à cela ne tienne, les honoraires seront financés sur 36 mois, à un taux de 15%, ce qui gonfle la facture à 3084$.

Drôle de façon d'aider les gens à se sortir de leurs dettes!

Mais le responsable de Groupe Solution2, Yvon Poirier, estime que ces frais sont justifiés puisque son programme en six étapes permet aux clients d'économiser beaucoup d'argent et de reprendre de saines habitudes financières.

Ce programme prévoit notamment la sélection d'un syndic de faillite qui adhère à la philosophie du Groupe. «Toutes nos propositions sont proposées à 30 cents dans la piastre. Certains syndics sont d'accord avec ça, d'autres non», m'a expliqué M. Poirier.

Le programme inclut aussi l'analyse de la situation financière et de la documentation financière du client, la participation à la prise de conscience du client, la conception d'un budget équilibré, ainsi que de la formation sur la philosophie budgétaire et l'autonomie financière.

Or, les syndics de faillite ont l'obligation de fournir tous ces services, ai-je constaté en scrutant les directives diffusées par le Bureau du surintendant des faillites (BSF).

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Mais certains intermédiaires cachent carrément à leurs clients qu'ils devront aller chez un syndic, sachant que cela risque de les effrayer. Ils parlent d'un «programme gouvernemental» qui leur permet de réduire leurs dettes.

Méfiez-vous. L'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) a d'ailleurs fait une mise en garde contre certains organismes qui «peuvent faire des déclarations inexactes au sujet des services qu'ils offrent dans le cadre d'un programme du gouvernement. Ce n'est pas convenable».

Un exemple: Quand j'ai téléphoné chez MayDay Services, prétextant être étouffée par des dettes de 15 000$, il n'a pas fallu cinq minutes pour qu'on me fasse une offre:

- Votre dette, je pourrais vous l'amener à 6800$, avec nos frais inclus. Ça ressemblerait à des paiements de 100$ par mois. Sans intérêts. C'est un montant global qu'on va fournir au gouvernement.

- C'est quoi, le programme?

- C'est la proposition de consommateur. C'est un programme qui existe depuis 1992. Mais le fédéral n'en parle pratiquement pas, de peur que tout le monde se mobilise sur le programme.

- Je n'aurai pas besoin d'aller chez un syndic de faillite?

- Pas du tout, pas du tout.

Quand j'ai rappelé la responsable, en me présentant comme journaliste, elle m'a répondu qu'elle était à l'étranger et qu'elle n'avait pas le temps de me parler.

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Le plus troublant, c'est que certains de ces intermédiaires demanderaient aux syndics une commission pour l'envoi du client.

«Je pense qu'il n'y a aucun syndic de la province de Québec qui n'a jamais été approché», m'a assuré le syndic Martin Poirier, du cabinet Lemieux Nolet. «Le syndic paie une "cut" de 300 à 500 $, selon ce que j'ai pu entendre, ce qui est totalement illégal.»

«Oui, j'ai été approché il y a un an et demi. Je pense que tous les syndics l'ont été», m'a confirmé un autre syndic sous le couvert de l'anonymat. L'intermédiaire était prêt à lui transmettre une dizaine de dossiers par mois, moyennant une commission de 400$ par dossier.

Il voulait préparer les dossiers et les apporter en vrac chez le syndic qui n'aurait eu qu'à conclure le travail. «Un soir par semaine, je vais arriver avec ma gang et tu vas faire ça vite, vite, vite», a-t-il dit au syndic qui a refusé l'offre.

Ce genre de pratique est formellement interdit. Les syndics n'ont pas l'autorisation de payer pour qu'on leur envoie des clients, insiste le Bureau du surintendant des faillites (BSF).

Cela va à l'encontre de leur code de déontologie qui stipule que les syndics ne peuvent verser un paiement à un tiers ni lui fournir tout autre avantage pour les renvois. Ils ne peuvent pas non plus accepter une commission, une rémunération ou tout autre avantage pour les renvois.

Le surintendant pourrait prendre des mesures disciplinaires si des renseignements lui permettaient de pincer un syndic qui verse une commission, même s'il n'est jamais intervenu jusqu'ici dans ce domaine.

Par ailleurs, le BSF n'a aucun pouvoir réglementaire en ce qui a trait aux conseillers en crédit. Plusieurs provinces, comme l'Alberta, le Manitoba et l'Ontario, ont adopté des lois depuis quelques années afin de resserrer les règles s'appliquant à ces conseillers. Mais pas le Québec. Qu'attendons-nous pour agir?

Allez voir un syndic, ça ne fait pas mal!

Faillite. Le mot fait peur. C'est pourquoi bien des consommateurs se braquent à l'idée de consulter un syndic, un peu comme d'autres ont une peur bleue d'aller chez le dentiste. Mais iriez-vous voir un charlatan pour vous faire arracher une dent? Certainement pas! Alors si vous êtes étouffé par vos dettes, ne vous posez pas de questions: allez voir un syndic. Ce sont eux, les véritables spécialistes de l'insolvabilité.

«En allant voir un syndic, les consommateurs s'assurent de faire affaire avec un professionnel qui est régi par la loi, qui doit suivre un code d'éthique, qui leur permet de voir des solutions et d'être en mesure de prendre une décision éclairée pour ensuite être soulagés», dit Charles Tremblay, président du Conseil des syndics de faillite du Québec.

Quelles solutions peut vous offrir un syndic?

Le syndic peut vous guider vers une faillite ou une proposition de consommateur. Aucun autre spécialiste n'a le droit de faire ce genre de procédures, encadrées par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Mais le syndic peut aussi vous offrir d'autres solutions: refaire votre budget, consolider vos dettes, refinancer votre hypothèque... Plus vous consultez rapidement, plus vous aurez d'options. C'est un peu comme un cancer: il est plus facile à traiter quand on l'attrape au début.

Comment sont rémunérés les syndics?

Les honoraires et les frais des syndics sont encadrés par la loi. Personne ne peut exiger davantage que le montant maximal. Mais il peut néanmoins y avoir des écarts entre différents syndics, explique Pierre Fortin, syndic au cabinet Jean Fortin & associés.

Combien coûte une proposition de consommateur?

Le syndic reçoit 750$ lors du dépôt de la proposition de consommateur, 750$ lors de l'approbation de la proposition par le tribunal ainsi qu'une somme représentant 20% des sommes distribuées aux créanciers aux termes de la proposition. À cela s'ajoutent certains frais et les taxes.

Les tarifs sont les mêmes partout. Mais les syndics n'ont pas tous les mêmes pratiques en cas de rejet de la proposition par les créanciers. Par exemple, un syndic pourrait exiger du client 750$ (plus les frais de dépôt de 100$, plus les taxes) dès le dépôt de la proposition, qu'elle aille de l'avant ou non. D'autres ne demanderont que 200$ au départ. Le reste sera versé uniquement si le dossier suit son cours. Informez-vous.

Quel est le tarif pour une faillite?

Dans le cas d'une faillite sommaire, soit la très grande majorité des cas de faillite de consommation, la première tranche de 975$ de dettes est versée au syndic. Ensuite, le syndic reçoit 35% des sommes collectées sur la tranche allant de 975 à 2000$, puis 50% de l'excédent. À cela s'ajoutent certains déboursés et les taxes.

Mais certains syndics peuvent accepter des honoraires inférieurs, si bien que la contribution mensuelle que le client aura à verser peut varier d'un syndic à l'autre. Posez des questions.

Trop pauvre pour faire faillite?

Lorsque la personne en faillite n'a aucun actif ni aucune source de revenus pour payer les créanciers, le Programme d'accès à la faillite permet de faciliter l'accès au système de faillite pour les débiteurs n'ayant pas les moyens de payer les frais habituels.

Comment trouver un syndic?

Les Associations d'économie familiale (ACEF) peuvent vous recommander un syndic. Sinon, consultez l'outil de recherche du Bureau du surintendant des faillites (BSF) sur le site d'Industrie Canada ou encore celui du Conseil des syndics de faillite du Québec. Si vous vous fiez à des publicités, vérifiez aussi que l'expert que vous vous apprêtez à consulter est un véritable syndic.

conseilsyndic.com/trouver-un-syndic/

Qui peut devenir syndic?

La plupart des syndics sont membres d'un ordre professionnel (avocat, CA, etc.). Les licences sont accordées par le BSF, à l'issue d'un processus de formation et d'examens.

À qui se plaindre?

En cas de problème avec un syndic, vous pouvez déposer une plainte au BSF, qui assure le respect du code de déontologie.

Coûteux détours

Le Petit Cochon rose (Groupe Solution2)

Submergé par des dettes de 40 000$, Éric a décidé, en février dernier, de consulter un conseiller pour qu'il l'aide à surmonter ses problèmes financiers.

Il a pris rendez-vous avec Le Petit Cochon rose, dont il avait entendu parler à la radio et sur l'internet. Une conseillère lui a expliqué qu'il pourrait s'en sortir avec une proposition de consommateur.

Puis, elle lui a dit qu'il y aurait des frais de 2471$, que c'était réglementé. Éric s'est dit qu'il n'avait pas le choix. Que c'était partout pareil, chez tous les syndics. Il a donc versé 1471$ sur-le-champ.

Mais les bras lui sont tombés quand la conseillère l'a amené dans le bureau d'un syndic qu'elle avait sélectionné pour finaliser le dossier. «Ils ne m'avaient jamais dit que ce n'était pas eux, les syndics!», dit-il.

Le véritable syndic lui a alors expliqué que la proposition de consommateur comportait des frais. D'autres frais!

Au fond, ils facturent en double, a réalisé le client. «Ils m'ont chargé 2471$, juste pour aller porter mon dossier à un syndic!»

Mais l'entreprise réplique qu'elle offre des services complémentaires à ceux du syndic. «Ce qu'on fait, nous, est totalement différent du syndic. Le syndic pose un plaster sur le bobo. Nous, on tente de régler le problème à la source», dit le responsable de Groupe Solution2, Yvon Poirier.

MayDay Services

L'offre de MayDay est alléchante. Grâce à un «programme d'aide offert par le gouvernement fédéral», on fait miroiter la fin des problèmes: «Mettez fin au harcèlement de vos créanciers. Conservez vos avoirs. Faites un seul paiement mensuel SANS intérêts, selon VOS moyens.»

Avec des revenus à la baisse depuis quelques années, Sylvia (nom fictif) ne voyait plus le jour où elle réussirait à se débarrasser de ses dettes d'environ 30 000$ sur différentes cartes de crédit.

Elle appelle donc chez MayDay Services et s'entretient avec la présidente, Natasha P. Shaw, qui lui explique qu'elle doit arrêter immédiatement de faire tous ses paiements. Cela lui permettra de payer les frais de MayDay qui s'élèvent à 700$. La dame prend toutes les informations financières de Sylvia. Elle lui explique qu'elle devra rencontrer quelqu'un du gouvernement pour conclure la démarche.

Mais lors de cette rencontre, Sylvia réalise qu'il s'agit plutôt d'un syndic de faillite qui lui facturera aussi des frais. Autre mauvaise surprise: les frais de MayDay ne sont pas de 700$, mais bien de 1400$.

Sylvia est ébranlée. Elle signe quand même les documents et fait deux chèques postdatés, qu'elle fera ensuite annuler après avoir consulté un autre syndic.

Elle doit faire des paiements de 200$ par mois durant cinq ans. «Je pensais qu'en allant voir un syndic, ça me coûterait cher. Pour le commun des mortels, quand on entend syndic, on pense automatiquement faillite», dit Sylvia.