Nous sommes en 1957. Le 14 mars, plus précisément. C'est jour de budget à Ottawa. Le ministre des Finances Walter Harris dévoile un nouvel outil qui va révolutionner l'univers de l'épargne au Canada: le régime enregistré d'épargne-retraite (REER).

Une belle victoire pour les médecins, sans régime de retraite, qui se plaignent de ne pas pouvoir épargner à l'abri de l'impôt. Mais à l'extérieur de ce cercle restreint, la création du REER passe inaperçue, éclipsée ce jour-là par un bonbon fiscal qui paraît plus savoureux: l'élimination d'une taxe de 10% sur les friandises, les boissons gazeuses et la gomme à mâcher!

Qui aurait pu imaginer qu'un demi-siècle plus tard, les régimes enregistrés d'épargne-retraite contiendraient plus de 600 milliards de dollars? Néanmoins, trois travailleurs sur quatre ne mettent pas 1 cent dans leur REER. Et les cotisations annuelles représentent à peine 4% de l'espace de cotisation REER disponible.

À voir ces chiffres, on pourrait croire que le REER a mal vieilli. Qu'il n'encourage pas les Canadiens à épargner suffisamment pour leur retraite. Mais une étude publiée la semaine dernière démontre que le REER fait beaucoup mieux son travail qu'on pourrait le croire.

«Parmi les travailleurs qui ont le plus besoin de contribuer au REER, un sur deux a fait des cotisations annuelles de plus de 10% de son salaire», a calculé Alexandre Laurin, directeur adjoint de la recherche à l'Institut C.D. Howe.

Il faut comprendre que les statistiques générales reposent sur des moyennes qui ne veulent rien dire. En effet, la moyenne inclut toutes sortes de travailleurs qui n'ont pas besoin de cotiser à leur REER, comme des étudiants ou des travailleurs à faibles revenus.

Au Canada, les personnes qui gagnent moins de 25 000$ sont relativement bien couvertes par les programmes gouvernementaux. À 67 ans, la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), le supplément de revenu garanti (SRG) et la Régie des rentes du Québec (RRQ) leur permettront de remplacer l'équivalent de 57% de leurs revenus d'emploi.

Que ces travailleurs ne cotisent pas à leur REER n'est donc pas une catastrophe. Au contraire, c'est probablement une bonne chose, car les retraits du REER leur feraient perdre leur SRG une fois à la retraite. De manière générale, les travailleurs à faibles revenus ont plutôt avantage à épargner dans un compte d'épargne libre d'impôt (CELI), un outil qui connaît une grande popularité depuis son lancement en 2008.

Par ailleurs, parmi les travailleurs qui gagnent plus de 50 000$ - ceux qui ont le plus besoin d'épargner pour la retraite -, pratiquement la moitié bénéficie d'un régime de retraite complémentaire avec leur employeur. Pour eux, les cotisations REER ne sont que la cerise sur le gâteau.

Par contre, le REER est un impératif pour les travailleurs qui gagnent plus de 50 000$ et qui n'ont pas de régime de retraite. Dans ce groupe, la moitié contribue au REER. Et leur taux de cotisation est relativement élevé (10,5% du salaire).

Remarquez, ce taux demeure insuffisant pour se bâtir une retraite aussi confortable que celle des travailleurs qui ont un régime de retraite leur permettant d'obtenir 70% de leur salaire à 60 ans après 35 ans de service. Pour toucher une rente semblable, un travailleur devrait injecter 18% dans son REER dès l'âge de 20 ans jusqu'à 65 ans, soit pendant 45 ans.

Mais bon, 10% c'est mieux que rien.

Au total, les trois quarts des travailleurs plus aisés mettent de l'argent de côté pour leur retraite, que ce soit avec un régime de retraite d'employeur ou un REER. Ce n'est pas optimal. Mais c'est mieux que ce que les statistiques générales nous donnent comme impression.

Et les autres? Il y a quand même un quart des travailleurs gagnant plus de 50 000$ qui n'épargnent pas du tout pour leur retraite, ni dans un REER, ni dans un régime de retraite avec leur employeur. Préoccupant. Mais certains ont peut-être choisi de financer leurs vieux jours d'une autre façon. En achetant des immeubles à revenus, par exemple.

Pour l'auteur de l'étude, ces résultats démontrent que le manque d'épargne des Canadiens n'est pas généralisé et qu'il n'y a donc pas d'urgence d'établir une solution unique pour remédier au problème.

Présentement, l'Ontario songe à implanter un nouveau régime de retraite obligatoire pour mieux couvrir les travailleurs. Au Québec, le comité D'Amours avait proposé la rente longévité. Mais Québec a choisi d'aller de l'avant avec le régime volontaire d'épargne-retraite (RVER), un mode d'épargne-retraite plus simple et moins coûteux que le REER, mais sans obligation.

Et le REER dans tout ça? À l'aube de ses 60 ans, il mériterait sans doute d'être dépoussiéré. Les chiffres montrent clairement l'injustice fiscale entre les gens qui disposent d'un régime de retraite avec leur employeur - souvent le gouvernement - et les autres qui doivent bâtir leur retraite tout seuls avec le REER.

Faut-il relever le plafond des cotisations REER? Devrait-on plutôt créer un plafond à vie (ex.: 2 millions de dollars), identique pour le REER et les régimes de retraite? Chose certaine, plus d'équité est nécessaire.

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TAUX DE PARTICIPATION À UN RÉGIME DE RETRAITE ET AU REER

Revenus d'emploi / Cotisants à un régime de retraite /Cotisants au REER / Cotisants à un régime de retraite ou au REER

50 001$-75 000$ 48% /22%/ 70%

75 001$-125 000$ 55%/ 23% /78%

Plus de 125 000$ 60%/ 28% /88%

Tous (50 001$ et plus) 52%/ 23%/ 75%

Source : CD Howe

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CONTRIBUTION DE CEUX QUI COTISENT UNIQUEMENT AU REER

Taux de cotisation en pourcentage des revenus annuels

Revenus d'emploi /moins de 30 ans /30-40 ans /45-49 ans /60 ans et + /Tous

50 001$-75 000$/ 7,50%/ 8,70% /12,10% /16,90%/ 10,60%

75 001$-125 000$/ 8,30% /10,90% /11,80%/ 14,80% /11,40%

Plus de 125 000$ /6,30%/ 6,90%/ 8,80%/ 7,90%/ 7,90%

Tous (50 001$ et plus)/ 7,70% /9,30% /11,40% /14,60% /10,50%

Source : CD Howe