«Avancez par en arrière», lancent les chauffeurs d'autobus aux passagers qui ne veulent pas se rendre jusqu'au fond du véhicule.

Ces jours-ci, les chauffeurs doivent avoir l'impression que cette phrase s'applique aussi à eux et à l'ensemble des 122 000 employés et retraités des municipalités du Québec, forcés de revenir en arrière sur des acquis de leur régime de retraite.

Québec ne semble pas vouloir bouger. Il est vrai que le gouvernement a ouvert la porte à certaines modifications mineures lors des consultations parlementaires qui se sont achevées cette semaine. Par exemple, les rares régimes en pleine santé pourraient éviter une partie de la cure, ce qui est parfaitement logique.

Mais le gouvernement garde le cap sur le gros morceau: le partage des coûts du déficit des régimes, estimé à 3,9 milliards de dollars. Québec veut même peser sur l'accélérateur, visant l'adoption du projet de loi 3 le plus tôt possible cet automne.

Voilà qui promet un automne chaud...

Mais les syndicats ont déjà brûlé une bonne partie du capital de sympathie dont ils jouissaient auprès du grand public en allumant des feux devant l'hôtel de ville et en mettant la salle du conseil sens dessus dessous.

Ils menacent maintenant de contester le projet de loi 3 jusqu'en Cour suprême. Déchirer un contrat, ça ne se fait pas, disent-ils. Une loi rétroactive, c'est odieux.

Sur le plan légal, ont-ils une poignée?

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Normalement, les promesses de rentes faites à des employés sont coulées dans le béton. L'employeur pour lequel vous avez travaillé toute votre vie ne peut pas renier ses engagements et réduire la rente que vous avez accumulée. S'il manque d'argent dans la caisse pour remplir ses promesses, c'est à lui de combler le déficit. À lui seul.

Chose promise, chose due. Un contrat est un contrat. L'une ou l'autre des deux parties ne peut pas en changer les clauses unilatéralement.

Toutefois, dans le secteur privé, l'employeur peut déclarer faillite. Parlez-en aux employés de Nortel qui ont perdu jusqu'à 43 % de leur rente. Les entreprises peuvent aussi se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, comme l'ont fait AbitibiBowater (Résolu) et Papiers White Birch, dont les retraités sont passés dans le tordeur.

Du côté public, il n'y a pas ce genre de disjoncteur. Alors, les coûts ne font que grimper, et la Ville doit payer... ou plutôt les contribuables qui n'ont pas de régime de retraite.

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Par contre, le public a des pouvoirs que les entreprises n'ont pas. Selon le vieil adage juridique, le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme.

Le législateur peut donc changer un contrat, même rétroactivement, quoiqu'il se garde généralement de le faire pour ne pas soulever la controverse et pour respecter la philosophie de libre marché.

Mais légalement, le législateur peut modifier les conditions d'un régime de retraite privé ou public, que ce soit pour le passé ou pour l'avenir.

Les syndicats rétorqueront que la liberté d'association est protégée par la Charte. Cela est vrai.

Est-ce que cette disposition peut empêcher le gouvernement de modifier unilatéralement les clauses d'un régime de retraite puisque ce régime fait partie des conditions de travail obtenues lors de négociations collectives?

C'est loin d'être sûr. Dans le passé, la Cour suprême a reconnu le droit d'association, mais de façon plutôt minimaliste, en rappelant que la Charte protège le droit à la négociation collective, mais ne garantit pas le résultat de la négociation.

À la suite des compressions budgétaires annoncées par Ottawa en 2008-2009, les employés fédéraux ont perdu une partie des augmentations de salaire prévues à leur convention collective.

Plusieurs syndicats ont porté l'affaire devant les tribunaux. Mais leurs demandes ont toutes été rejetées par les cours d'appel de différentes provinces, notamment celle du Québec qui s'est penchée sur la cause des employés de Radio-Canada.

Un des dossiers est maintenant en délibéré à la Cour suprême. Mais il serait surprenant qu'elle renverse la vapeur.

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Au-delà du droit, est-il acceptable que Québec permette aux municipalités de revenir sur leur parole? Cela fera en sorte que l'indexation sera suspendue pour les retraités et que les employés devront assumer la moitié du déficit qui leur est attribuable.

Les syndicats disent que c'est immoral. Ils rappellent que les employés ont renoncé à des augmentations de salaire en échange d'une bonification de leur régime de retraite.

Mais est-ce que la valeur des augmentations de salaire auxquelles ils ont renoncées est égale à la valeur de l'amélioration de leur prestation de retraite?

Peut-être que ça l'était à l'époque. Mais les temps ont changé. L'espérance de vie a grimpé, et les taux d'intérêt sont au plancher. Tout cela a fait exploser le coût des rentes consenties dans le passé. Et aujourd'hui, les employés municipaux se retrouvent avec une rémunération globale largement supérieure à celle des employés du Québec.

Les parties sont donc en droit de se questionner pour savoir si les principes sur lesquels elles s'étaient entendues à l'époque sont toujours valables.

N'empêche, les employés ont le droit d'être écoutés de bonne foi par Québec, non seulement pour respecter la Charte, mais aussi pour préserver le climat de travail et la paix sociale.