Lola et le Conseil du statut de la femme (CSF), main dans la main. Qui l'eût cru? Pourtant, l'organisme qui prônait la liberté de choix depuis belle lurette a fait un virage à 180 degrés, cette semaine. Il soutient maintenant que les conjoints de fait devraient avoir une protection juridique semblable à celle des couples mariés.

Dans un avis étoffé d'une centaine de pages, le Conseil du statut de la femme recommande que les couples en union de fait soient protégés par défaut. Mais d'un commun accord, les conjoints de fait pourraient se retirer de ce régime. Donc, la liberté de choix serait sauve.

À peu de chose près, c'est ce que la Colombie-Britannique a mis en place en 2013, sans que cela soulève un tollé.

Mais ici, oh là là! Cette question hypersensible provoque à tous les coups des réactions émotives, voire haineuses. On sent bien que plusieurs n'ont jamais digéré la loi sur le patrimoine familial de 1989.

Or, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 25 ans. La famille n'est plus la même. Les experts s'accordent pour dire que le statu quo n'est pas tenable.

Les membres du comité consultatif formé par Québec au lendemain du jugement de la Cour suprême dans l'affaire d'Éric contre Lola ont conclu à l'unanimité qu'une réforme en profondeur du droit de la famille est essentielle.

La législation actuelle est incohérente. D'une part, Québec impose le régime le plus rigide du Canada aux couples mariés. D'autre part, il n'offre aucune espèce de protection pour les conjoints de fait, contrairement à toutes les autres provinces.

Ne vous demandez pas pourquoi c'est au Québec que l'on trouve la plus forte proportion de conjoints de fait. Chez les jeunes, les deux tiers des couples vivent en union de fait, et 63% des enfants naissent à l'extérieur du mariage.

Au lieu de l'approche bipolaire qui prévaut en ce moment, on pourrait miser sur un régime plus souple qui s'appliquerait à tous les couples, mariés ou pas. Déjà, les lois fiscales et sociales s'appliquent de la même façon aux conjoints et aux couples mariés. Pourquoi seraient-ils traités différemment lors de la rupture?

Il est illogique d'imposer des règles aux gens mariés tout en leur permettant de les contourner en ne se mariant pas. Cela fait en sorte que l'union de fait devient une option de retrait déguisée.

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Les partisans du libre choix diront que les conjoints de fait peuvent déjà se protéger en signant un contrat de vie commune. C'est vrai. Sauf que seulement un couple sur cinq prend le temps de le faire.

Même après tout le battage médiatique entourant l'histoire d'Éric et Lola, la majorité ne comprend toujours pas les règles du jeu, a démontré un sondage de la Chambre des notaires.

En cas de rupture, ils pensent qu'ils auront droit à une pension alimentaire et ils s'imaginent que le patrimoine familial sera séparé en deux, ce qui est totalement faux. Après une séparation, c'est comme si l'ex-conjoint de fait n'avait jamais existé.

Avec un régime par défaut, on s'assurerait que tous les couples, mariés ou pas, soient vraiment protégés. Et ceux qui choisiraient de se retirer le feraient en toute connaissance de cause, avec un vrai contrat.

Pour s'assurer que les conjoints soient bien informés et réellement consentants, le CSF croit qu'ils devraient passer chez le notaire, ce qui coûte évidemment des sous. Mais dans certaines provinces, un contrat devant témoins fait l'affaire.

De toute façon, on pourrait accorder aux tribunaux la possibilité de «contrôler la qualité du consentement, pour s'assurer qu'il ne pose pas un préjudice important», explique Benoît Moore, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

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Reste à savoir à partir de quel moment le régime par défaut s'appliquerait. À partir de la naissance d'un enfant, comme l'avance le comité consultatif? Après tout, la décision de fonder une famille est certainement un engagement aussi fort que celui du mariage. Et c'est souvent à ce moment qu'un conjoint risque de se retrouver dans une situation de vulnérabilité financière.

Après la naissance des enfants, ce sont surtout les jeunes femmes (dont le salaire reste inférieur à celui des hommes) qui ont tendance à se retirer du marché du travail durant quelques années ou à travailler à temps partiel pour mieux s'occuper de la maisonnée.

Mais à la séparation, ces choix peuvent être lourds de conséquences. Au Québec, plus des trois quarts des familles monoparentales sont dirigées par des femmes. Celles-ci ont des revenus médians de 35 000$ (presque 13 000$ de moins que celles dirigées par des hommes), et le quart d'entre elles vivent sous le seuil de faible revenu.

Or, les femmes avec des enfants ne sont pas les seules qui peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité financière. Imaginez la personne qui cesse de travailler pour s'occuper de sa belle-mère pendant 10 ans, puis qui se fait larguer par son conjoint.

«Dans une société vieillissante, les couples s'occupent aussi de leurs parents. Pourquoi n'y aurait-il pas une reconnaissance de cet investissement-là aussi?», demande la présidente du CSF, Julie Miville-Dechêne.

Voilà pourquoi le CSF estime que le régime par défaut devrait s'appliquer à tout les conjoints de fait après deux ans de vie commune.

Mais de toute façon, il y a loin de la coupe aux lèvres. À entendre la réaction plutôt tiède de la ministre de la Justice Stéphanie Vallée à l'avis du CSF, on a l'impression que la réforme des conjoints de fait n'est pas pour demain. Dommage.