Sur l'internet, votre vie privée est comme un grand livre ouvert. On épie vos moindres clics. On traque votre historique de navigation pour ensuite vous envoyer des publicités ciblées selon votre profil.

Vous avez réservé des billets d'avion pour Rome avec une agence de voyages en ligne? Ne vous étonnez pas si des publicités d'hôtels vous poursuivent pendant plusieurs semaines partout sur le web.

Bof! Pas la fin du monde, me dites-vous? Mais gare aux dérives...

Lorsqu'un internaute se fait bombarder de publicités sur les appareils de traitement d'apnée du sommeil après avoir fait une recherche à ce sujet sur Google, ça ne va plus du tout! La santé est une donnée sensible qui ne doit pas faire l'objet de publicité ciblée, a rappelé le Commissariat à la protection de la vie privée la semaine dernière.

Même si le Commissariat a balisé la publicité comportementale en 2011, bien des internautes ont l'impression qu'il s'agit d'une intrusion dans leur vie privée.

À preuve, le déluge de plaintes déposées contre Bell, en octobre dernier, lorsque le géant des télécoms a annoncé qu'il pourrait dévoiler à d'autres entreprises les habitudes de ses clients: écoute d'émission de télé, historique de navigation, utilisation téléphonique...

Avec la convergence des médias, l'heure n'est peut-être pas si loin où la publicité que vous verrez apparaître durant votre téléroman préféré aura un lien avec les sites web consultés récemment.

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Mais il y a bien plus grave. Certains cybercommerçants modulent leurs prix en fonction du profil de l'internaute.

L'été dernier, cette pratique douteuse appelée IP Tracking a provoqué un tollé en France. À juste titre.

Des internautes ont constaté que les prix grimpaient lorsqu'ils vérifiaient plusieurs fois les prix pour le même voyage. Le site internet conservait en mémoire leur recherche et l'adresse IP de leur ordinateur. Quand les consommateurs revenaient sur le site, on leur proposait un prix supérieur, pour leur laisser croire que les places s'étaient envolées et qu'ils devaient se dépêcher de réserver.

Rien de neuf sous le soleil.

Au Québec, un test réalisé par le Réseau de veille en tourisme de l'UQAM, il y a quelques années, avait fait ressortir un écart de prix significatif sur le prix d'un billet d'avion, alors que plusieurs internautes avaient procédé à la même recherche, au même moment, à partir d'ordinateurs différents.

Avec la tarification modulée, les internautes peuvent se faire demander plus cher en raison de l'endroit où ils vivent, de leur historique de navigation et même parce qu'ils utilisent un appareil Apple!

C'est bien simple, on utilise leurs renseignements personnels contre eux. Quelle pratique déloyale! C'est de la discrimination commerciale.

Après une enquête de la Commission nationale informatique et liberté, le Parlement européen s'apprête à intervenir. Mais chez nous, jusqu'où peut-on aller dans ce genre de profilage?

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Au Canada, les entreprises n'ont pas le droit de colliger des renseignements personnels sans votre consentement.

Le hic, c'est que votre adresse IP, le numéro unique attribué à votre ordinateur, ne constitue pas un renseignement personnel, explique Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public (CRDP) de l'Université de Montréal.

En Europe, l'adresse IP est considérée comme une donnée à caractère personnel. Mais ça ne change pas grand-chose, car les internautes sont de plus en plus enclins à fournir leurs renseignements personnels, avec l'avènement des réseaux sociaux.

Plusieurs acceptent les nébuleuses politiques de confidentialité des sites web sans sourciller.

Mais peut-on vraiment dire que l'internaute fournit un consentement éclairé, quand il n'a aucune idée de l'ampleur des informations qui seront récoltées à son sujet, aucune idée à qui elles seront transmises, combien de temps elles seront conservées, ni à quoi elles serviront.

Sans compter que l'internaute n'a aucun moyen de vérifier l'exactitude des renseignements détenus à son sujet, et encore moins la possibilité d'exiger une correction, comme il serait pourtant en droit de le faire.

C'est un consentement de pacotille! Pourtant, ce fameux consentement est la clé de voûte de la protection de la vie privée au Canada. C'est vous dire à quel point la loi est désuète.

Pour éviter les dérives du profilage, il serait plus efficace d'encadrer le type de renseignements que les entreprises peuvent colliger et d'interdire les gestes préjudiciables pour les internautes.

Mais resserrer les règles n'est pas une panacée. En Europe, les lois sont plus strictes, mais elles ne sont pas toujours appliquées avec vigueur. Le Commissariat doit aussi avoir plus de dents, plus de moyens pour enquêter dans cet univers extrêmement complexe.

En attendant, vous pouvez prendre quelques mesures de précaution pour réduire le profilage et la publicité ciblée.

Par exemple, n'oubliez pas de régler les paramètres de votre navigateur (Explorer, Firefox) afin de bloquer les témoins (cookies).

Vous pouvez aussi refuser la publicité ciblée grâce au service de retrait «Votre choix de pub», une initiative d'autoréglementation de l'industrie canadienne de la pub (https://youradchoices.ca/fr/).

Mais ne vous faites pas d'illusion, il est impossible de bloquer à 100% la publicité comportementale.