Au royaume de la consommation, le dossier de crédit est tout-puissant. Il contient vos informations financières les plus névralgiques et révèle si vous êtes un bon ou un mauvais payeur.

Une tache à votre bulletin peut vous empêcher d'obtenir une hypothèque, vous forcer à payer un taux d'intérêt plus élevé et même vous créer des ennuis pour trouver un logement ou une assurance auto. Des conséquences très graves.

Pourtant, les consommateurs n'ont aucun contrôle sur ce dossier qui est bâti à partir des données fournies par leurs créanciers: banques, fournisseurs de télécom, etc. Pour chaque compte, ils vous accordent une note de 1 à 9; 1 signifie que vous payez à temps, 9 que vous êtes en recouvrement ou en faillite.

Or, le consommateur ne peut pas demander à l'agence de crédit de rectifier une note erronée. Seul le commerçant peut le faire. Alors vous imaginez bien que le dossier de crédit peut devenir une arme redoutable si une entreprise veut vous forcer à payer une facture, à tort ou à raison.

C'est carrément de l'intimidation financière.

En menaçant de salir votre dossier de crédit, les commerçants peuvent se faire leur propre justice, une justice dont ils sont à la fois juge et partie, dénonce Option consommateurs dans une étude fort intéressante publiée ce matin.*

Le litige entourant le péage sur le pont de l'autoroute 25 est un bel exemple. Des dizaines de milliers d'automobilistes contestent les frais administratifs qui n'étaient pas affichés. Même si la Cour a autorisé leur recours collectif, Concession A-25 a lancé à leurs trousses une agence de recouvrement qui les menace d'entacher leur dossier de crédit.

Le consommateur est coincé. Sa seule avenue est de payer sous protêt. Mais le fardeau de la preuve est alors renversé. Au consommateur de poursuivre. Au consommateur de courir après son argent.

Tout cela est inadmissible. Les gouvernements doivent intervenir.

Pour rétablir le rapport de force entre les consommateurs et les commerçants, Option consommateurs fait une recommandation très sensée. Les agences de crédit devraient créer une catégorie spéciale pour les créances litigieuses. Cette inscription n'entrerait pas dans le calcul du pointage de crédit, ces trois chiffres synthétisent votre dossier de crédit et déterminent jusqu'à quel point vous êtes un bon payeur (300 étant la pire note et 900 la meilleure).

Ainsi, la note litigieuse ne porterait pas préjudice au consommateur tant que le litige ne serait pas tranché, indique l'auteure de l'étude, Dominique Gervais.

Mais pour éviter que les consommateurs abusent de cet outil, Option consommateurs croit aussi qu'il faudrait offrir un accès plus rapide à la justice lorsqu'une créance litigieuse risque d'entacher le dossier de crédit.

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Mais il faut aller plus loin. Il est grand temps d'encadrer le dossier de crédit, en s'inspirant des États-Unis, estime Option consommateurs.

La réglementation doit permettre une meilleure surveillance des agences d'évaluation de crédit et, par ricochet, les amener à se responsabiliser davantage par rapport à l'exactitude des renseignements qu'elles collectent et diffusent, expose Me Gervais.

En effet, plusieurs enquêtes menées aux États-Unis révèlent que le quart des dossiers de crédit contiennent des erreurs. C'est énorme. Mais les agences de crédit s'en lavent les mains. Selon elles, ce sont les commerçants qui sont responsables de l'exactitude des données.

Mais les juges ne sont pas toujours du même avis. Au Canada, la Cour fédérale a clairement énoncé que les agences de crédit sont responsables des informations qu'elles communiquent, rapporte Me Gervais.

Aux États-Unis, Equifax a subi un cuisant revers, en août dernier. Une consommatrice lui avait envoyé pas moins de 13 lettres en deux ans pour demander un rectificatif à son dossier de crédit. Sans surprise, Equifax ne l'a jamais aidée.

Alors, elle a poursuivi. Et elle a gagné... 18,4 millions US en dommages punitifs! Mais le plus incroyable, c'est qu'Equifax n'a pas vraiment changé d'attitude malgré ce jugement-choc.

Son service à la clientèle demeure un vrai cul-de-sac. D'ailleurs, le fait que les agences de crédit ont refusé de collaborer à l'étude d'Option consommateurs est particulièrement révélateur.

Equifax est fermée comme une huître avec les consommateurs aussi.

Disons qu'on vous refuse du crédit, à cause d'une tache à votre dossier de crédit. Vous voudrez appeler très vite chez Equifax pour en avoir le coeur net. Impossible. Il n'y a pas de numéro de téléphone avec un être vivant au bout du fil.

Pour parler à un agent, il faut d'abord commander son dossier. La loi oblige les agences de crédit à fournir gratuitement votre dossier de crédit, mais par la poste seulement. Trop long si vous avez un problème urgent. Pour consulter immédiatement votre dossier sur l'internet, il faut payer.

Sauf qu'en voulant acheter leur dossier de crédit, bien des consommateurs se retrouvent abonnés malgré eux à un service de monitorage ou d'assurance vol d'identité.

Et ensuite, bonne chance pour se désabonner et bloquer les paiements mensuels sur la carte de crédit. C'est aussi compliqué que de sortir de la maison des fous dans les 12 travaux d'Astérix!

Ces pratiques commerciales ne semblent pas nuire à Equifax. L'entreprise américaine qui vaut plus de 8 milliards US a vu son action tripler depuis cinq ans à la Bourse de New York.

Mais les consommateurs, eux, pâtissent. Il faut que ça change.

Ça tombe bien, Ottawa a lancé des consultations, mardi, en vue d'établir un nouveau code pour protéger les consommateurs dans l'univers des services financiers.

Les recommandations de ce rapport pourraient être une belle source d'inspiration.

*Le dossier de crédit: un outil de justice alternative? Rapport de recherche présenté à Industrie Canada par Dominique Gervais et Geneviève Charlet, d'Option consommateur