La Banque Royale trône au sommet de la Bourse canadienne depuis des lustres. L'institution financière, dont les origines remontent à 1864, est assise sur une valeur boursière de 95 milliards de dollars, son sommet historique.

Mais depuis 2000, une demi-douzaine de sociétés ont ravi temporairement la couronne de la Royale pour devenir les reines de la Bourse canadienne. Mal leur en prit.

Toutes les entreprises qui ont trôné au sommet de la Bourse ont ensuite été sévèrement rabrouées. BlackBerry, qui a confirmé hier les pires résultats trimestriels de son histoire, n'est que le dernier de ces monarques déchus.

Cette triste lignée me rappelle étrangement la malédiction lancée contre les rois de France qui a inspiré la saga des Rois maudits. Accéder au sommet de la Bourse serait-il un mauvais présage? Peut-être.

En tout cas, les sociétés qui ont occasionnellement détrôné ExxonMobil n'ont pas eu la vie facile. Descendante directe de la famille Rockefeller, la pétrolière américaine est régulièrement l'entreprise qui vaut le plus cher au monde. Mais elle a déjà été surpassée, notamment par Microsoft qui valait 619 milliards US au sommet de la bulle des technos, en 1999.

Dès l'année suivante, son action a flanché de moitié et n'est jamais remontée à son sommet. En 2012, Apple a battu le record historique de Microsoft, devenant l'entreprise ayant la valeur boursière la plus élevée de tous les temps, avant d'amorcer un repli. De quoi donner la trouille aux superstitieux!

Au Canada, Nortel Networks a connu un sort particulièrement lamentable. À la fin de l'été 2000, en pleine folie spéculative, la valeur de l'entreprise frôle 400 milliards de dollars. Nortel représente alors plus du tiers de la Bourse canadienne.

Puis, en 12 mois, le titre se dégonfle de 90%... alors que le patron empoche une rémunération de 135 millions. Quelques années plus tard, les investisseurs ont tout perdu.

Après l'éclatement de la bulle techno, la Banque Royale, qui vaut alors 33 milliards, retrouve son trône. Mais en 2004, la compagnie d'assurances Manuvie prend sa place en célébrant son mariage avec John Hancock. La fiancée américaine apporte dans son trousseau un produit novateur que Manuvie lancera sous le nom de RevenuPlus. Une révolution dans le marché canadien. Mais avec la chute de la Bourse et des taux d'intérêt, ces produits ne tiennent pas la route. Durant la crise du crédit, Manuvie se retrouve à genoux.

À la fin de l'été 2005, l'ouragan Katrina fait des ravages. Les dégâts dans le golfe du Mexique font exploser les prix de l'énergie. Les producteurs canadiens en profitent. EnCana Corp., qui pèse 55 milliards, prend la tête de la Bourse canadienne. Mais les honneurs seront de courte durée. Aujourd'hui, les trois quarts de sa valeur boursière sont disparus en fumée.

En 2007-2008, c'est au tour de Reseach In Motion (RIM), l'inventeur des téléphones BlackBerry, de monter sur la plus haute marche de la Bourse. On connaît la suite: Apple contre-attaque avec l'iPhone. RIM, qui peine à se renouveler, tombe en disgrâce. Cette semaine, Fairfax Financial a offert de l'acheter pour 4,7 milliards, à peine 5% de sa valeur au sommet.

Par la suite, le boom des matières premières poussera successivement deux entreprises sur le trône. En 2008, Potash atteindra 71,9 milliards, avant de perdre 60% de sa valeur. Puis, en 2009, Barrick Gold ravira la couronne royale, touchant 42,6 milliards avant de retomber de 55%. Voilà ce qu'il en coûte de détrôner la Royale!

Au-delà des superstitions, tout cela rappelle aux investisseurs quelques grandes vérités. Les banques sont au coeur du système capitaliste. Elles offrent un service quasi éternel à l'abri des modes passagères. Les produits de consommation changent de plus en plus vite. Mais l'argent reste. Et l'argent, c'est payant! Surtout qu'au Canada, les banques jouissent d'une situation quasi monopolistique. Depuis 15 ans, certains concurrents ont bien essayé de leur gruger des parts de marché dans certains créneaux comme les cartes de crédit (MBNA), le courtage sur internet (eTrade) et les comptes d'épargne à intérêt élevé (ING Direct). Ils ont tous été achetés par les banques canadiennes, qui restent quasi inattaquables.

Alors, pour bâtir un modèle d'affaires aussi solide et durable que celui d'une banque canadienne, il faut se lever de bonne heure! Peu d'entreprises peuvent se targuer d'avoir autant d'avantages concurrentiels. Certaines sociétés y arrivent grâce à une percée technologique (les téléphones intelligents) ou à une innovation (un produit d'assurance révolutionnaire). Mais la concurrence finit par les rattraper.

D'autres sont poussées par le cycle des ressources naturelles (EnCana, Barrick Gold) ou par la spéculation (Nortel Networks). Mais cela ne dure qu'un temps. Pas facile de se maintenir au sommet! C'est pourquoi les numéros 1 sont rarement de bons placements, selon le gourou de la finance Robert Arnott.

En étudiant les sociétés qui dominent les différents secteurs de la Bourse américaine, il a découvert que 59% des chefs de file font moins bien que leur secteur l'année suivante, et 66% sont à la traîne au cours de la décennie suivante. Les résultats sont encore plus frappants sur les Bourses étrangères. Alors, gare aux investisseurs qui se laissent éblouir par les stars de la Bourse: ils risquent de voir des étoiles.

La Banque Royale est l'entreprise canadienne qui vaut le plus cher en Bourse. Mais depuis 15 ans, plusieurs sociétés lui ont ravi temporairement sa couronne.

[Entreprise | Sommet | Valeur au sommet | Valeur actuelle | Chute depuis le sommet]

Nortel Networks | 1999 à août 2001 | 400 milliards | s.o. | s.o.

Manuvie | avril 2004 à février 2005 | 49,9 milliards | 31,3 milliards | 37%

Encana Corp. | septembre 2005 | 58,9 milliards | 13,4 milliards | 77%

Reseach InMotion (BlackBerry) | mars à août 2008 | 83,5 milliards | 4,7 milliards | 94%

Potash Corp. | juin à juillet 2008 | 71,9 milliards | 28,8 milliards | 60%

Barrick Gold | janvier 2009 | 42,6 milliards | 19,1 milliards | 55%

N.B. : Compilation réalisée à partir des données de clôture hebdomadaires du S&P/TSX60, sauf pour Nortel. La valeur boursière au sommet est celle que l'entreprise avait lorsqu'elle était la plus importante de la Bourse, mais pas nécessairement le sommet historique de l'entreprise.