S'il faut en croire le grand patron de Bell Canada, l'heure est grave: à cause des règles fixées par Ottawa, le géant américain Verizon va bientôt débarquer au Canada en jouissant d'avantages indus.

«Ce qui se décidera d'ici la mi-septembre définira l'industrie canadienne du sans-fil pour les 25 prochaines années», affirmait George Cope lors d'une rencontre éditoriale à La Presse, cette semaine.

Un véritable front commun s'est formé pour inciter Ottawa à changer ses règles. Rarement a-t-on entendu le patronat et les syndicats entonner le même refrain. Rarement a-t-on vu Bell et Québecor marcher main dans la main, eux qui viennent de se déchirer devant le CRTC à propos de l'acquisition d'Astral.

Il semble que tout le monde au Canada soit prêt à voler à la défense des grands fournisseurs canadiens de télécoms. Tout le monde... sauf peut-être leurs propres clients.

Alors que les grands fournisseurs de télécoms ont cruellement besoin de leur appui, les consommateurs canadiens n'ont guère envie de leur prêter main-forte. Il faut dire qu'ils ont couru après les bosses.

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Avec la déréglementation et l'avènement de l'internet et du cellulaire, l'industrie des télécoms est devenue la bête noire des consommateurs.

C'est le sujet numéro un de plaintes à l'Office de la protection du consommateur (OPC). Les télécoms ont même dépassé les véhicules d'occasion, les fameuses "minounes", qui ont longtemps été les grandes championnes des problèmes de consommation.

L'an dernier, les télécoms ont suscité près de 18 000 demandes de renseignement et de soutien, soit près de 10% des demandes totales à l'OPC, et déclenché plus d'un millier de plaintes, davantage que tout autre secteur.

La liste des récriminations est longue et variée.

Ces dernières années, les fournisseurs de télécoms n'ont pas hésité à menotter leurs clients avec des frais de rupture de contrat abusifs, déclenchant une pluie de recours collectifs contre Bell, Rogers et Telus. Il aura fallu que Québec modifie la Loi sur la protection du consommateur, en 2010, pour que ces frais disparaissent.

Mais des frais, il y en a bien d'autres: frais "Touch-tone" par-ci, frais de location de modem par-là. Les fournisseurs de télécoms facturent même pour... la facture! Ils ajoutent des frais de 2 ou 3$ par mois aux clients qui veulent une facture papier.

Avec tous ces petits montants qui s'ajoutent à gauche et à droite, il devient difficile pour les consommateurs de comparer les prix. D'ailleurs, le Bureau de la concurrence a imposé une sanction de 10 millions de dollars à Bell, en 2011, jugeant ses publicités trompeuses, car elles ne présentaient pas l'ensemble des frais obligatoires.

L'an dernier, le Bureau de la concurrence a aussi déposé des poursuites records de 30 millions contre Bell, Telus et Rogers. Cette fois, il s'attaquait aux "textos" empoisonnés, ces messages qui vous invitent à participer à un concours, mais qui vous abonnent à votre insu à un service qui coûte de 10 à 40$ par mois. Choquant!

Mais quand les consommateurs frustrés larguent leur fournisseur, ils sont tout de suite assaillis par l'entreprise qui veut les reconquérir. En 2010, Bell a d'ailleurs reçu une amende record de 1,3 million du CRTC à cause de ses pratiques de télémarketing illégales.

Mais ce n'est pas le pire. Parlons un peu des frais d'itinérance pour utiliser son téléphone intelligent à l'étranger. Les tarifs sont tellement exorbitants, et surtout imprévisibles, que beaucoup de Canadiens ont carrément peur d'apporter leur téléphone en voyage.

Quand on sait que certains clients se retrouvent avec une facture-surprise de plus de 1000$, on ne s'étonne pas qu'une demande de recours collectif ait été déposée contre Rogers, Bell et Telus, en janvier dernier.

Heureusement, le nouveau Code sur les services sans fil du CRTC plafonnera les frais d'itinérance à 100$ par mois à partir de décembre. Mais les fournisseurs pourront continuer d'imposer des tarifs d'itinérance exorbitants, les plus élevés du monde, selon l'OCDE.

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Les grands fournisseurs de télécoms n'ont pas réalisé à quel point toutes ces détestables pratiques ont entaché leur réputation au fil des ans. Aujourd'hui, ils paient le prix de leur arrogance.

Ottawa a mis en place des règles pour favoriser l'émergence de nouveaux concurrents. Les consommateurs commencent à voir des résultats avec l'arrivée de Wind Mobile et de Mobilicity. Maintenant qu'un géant étranger veut profiter des mêmes avantages pour se tailler une part du marché canadien, les grands joueurs protestent.

Injuste. Inéquitable. Dommageable pour l'économie canadienne et l'emploi, clame l'industrie. Sans compter que la concurrence est déjà très saine au Canada, en particulier au Québec avec la présence de Québecor. L'industrie précise que les prix du cellulaire sont de 6 à 40% moins chers au Canada qu'aux États-Unis, étude du CRTC à l'appui.

Alors, pourquoi faire des cadeaux à Verizon qui est quatre fois plus grande que les trois grands joueurs canadiens ensemble?

L'industrie du sans-fil a beau faire les yeux doux, rien n'y fait.

Les règles sont faites pour protéger les consommateurs canadiens et maintenir un marché concurrentiel, et non pas pour protéger les compagnies canadiennes, rétorquent le Centre pour la défense de l'intérêt public (PIAC) et l'Association des consommateurs du Canada qui encouragent Ottawa à garder le cap.