Jeudi, c'est apparu sur le Net : tuerie dans une université de l'Oregon. J'ai lu ça, secoué la tête. Pas encore. Puis j'ai continué mon travail. Le soir, j'ai regardé le Canadien perdre un autre match préparatoire. Quand ma blonde est arrivée à la maison, on a jasé des réparations du garage et de nos activités du week-end.

Il n'y a pas si longtemps, devant un tel drame, j'aurais tout arrêté. Je me serais branché sur CNN. Le coeur chaviré. Tout le reste m'aurait semblé futile. J'aurais eu l'âme en berne. J'aurais essayé de comprendre l'incompréhensible. J'aurais écrit un blogue pour tenter de faire sortir ma révolte et ma tristesse. Quand ma blonde serait arrivée, on aurait essayé de se consoler l'un et l'autre.

Pourquoi la tuerie de l'Oregon ne m'a pas troublé comme les autres ? Parce qu'il y en a trop. Tout simplement. L'humain est ainsi fait, il s'habitue à tout. Quitte à devenir inhumain. La sensibilité, à force de fesser dessus, s'insensibilise. Elle se durcit. S'épaissit. Notre coeur devient épais. Plus rien ne lui fait rien.

Depuis le 1er janvier 2015, il y a eu 264 fusillades de masse, aux États-Unis ; 264 ! En 9 mois, les armes ont tué 9956 personnes et en ont blessé 20 269 autres. En mars, un forcené a tué sept personnes sur un campus californien. On a pleuré. En juin, un désaxé a tué neuf personnes dans une église de la Caroline-du-Sud. On a pleuré. Avant-hier, un autre désespéré a tué neuf personnes à Roseburg, en Oregon. On n'a pas pleuré. On n'a plus de larmes. C'est effrayant. Notre compassion a séché. On ne peut pas s'ouvrir les veines tous les deux mois. Le propre d'une nouvelle, c'est d'annoncer quelque chose de nouveau. Les tueries américaines ne sont plus des nouvelles, ce sont des habitudes. Ça devrait encore plus nous révolter qu'il y en ait tellement, mais ça fait l'effet contraire, ça nous gèle. Plutôt que de pleurer pour rien, on ne pleure plus.

Obama, lui, pleure encore. C'est sa job. Je pensais que la job d'un président des États-Unis, c'était d'agir. Je pensais que c'était l'homme le plus puissant de la planète. C'est pas ça. Après chaque tuerie, il plaide pour le contrôle des armes dans son pays. Mais rien ne change. C'est pas de sa faute. C'est la faute du méchant Congrès. La faute des méchants lobbys. 

L'homme le plus puissant de la planète est le plus impuissant chez lui. Il peut décider de peser sur le bouton rouge, lâcher des missiles atomiques pour tuer des millions de personnes. Mais il ne peut rien faire pour empêcher son peuple de s'entretuer.

Les vendeurs d'armes sont contents. Moins les tueries nous virent à l'envers, moins leur industrie est en danger. Le poète Péloquin a écrit : « Vous êtes pas écoeurés de mourir bande de caves ! » Eh bien non, les Américains ne semblent pas écoeurés de mourir. Pas écoeurés de se tuer. N'importe qui peut mettre la main sur une arme. Et n'importe qui, ce sont les fous aussi.

Il n'y a pas juste les Américains, de caves. On l'est aussi. Nous ne sommes pas à l'abri, dans le plus beau pays du monde, de ce genre de drame. On le sait. Ça n'arrive pas aussi souvent. Mais ça arrive. Juste une fois, c'est une fois de trop, s'il s'agit de notre enfant.

Surtout, ne pas tomber dans le fatalisme : on ne peut rien y faire, on ne peut pas contrôler les individus, quand un désaxé solitaire passe aux actes, on ne peut pas le prévoir. Gnagnagna... Accepter la mort des innocents, c'est en devenir coupable. Il faut lutter contre notre désensibilisation. Il faut être plus touché qu'Obama. Pour qu'il ne se contente pas d'être seulement fâché-fâché. Mais qu'il fasse quelque chose. Entre deux tueries, qu'il brasse le Congrès. Qu'il trouve un moyen que les fusils soient moins nombreux que les cellulaires.

Faut pas que ce soit Obama qui éveille les consciences, faut que ce soit les consciences qui fassent agir Obama. Fassent agir le Congrès. Fassent tomber les lobbys.

Avant, j'avais peur des fous. Maintenant, j'ai peur de moi. Peur de ma presque indifférence. La tuerie de l'Oregon ne m'a pas fait assez mal. Le détachement est le pire ennemi.

Un être sain d'esprit est un être qui se soucie des autres. S'habituer à l'horreur, c'est le début de la folie.

Ça me fait du bien de le partager avec vous, samedi matin. Ça me donne une claque dans la face. Ça me réveille. Il y a pire que la peur, c'est la torpeur. La peur donne des ailes, comme disaient les Normands dans Astérix. La torpeur les coupe. La torpeur rend passif. Désensibilise. C'est ce qui est en train de nous arriver face aux malheurs qui nous entourent.

Fallait prendre le temps de se le dire.

Avant qu'il ne soit trop tard... Pour nous.

Pour les victimes de Roseburg, de Charleston, d'Isla Vista, de Fort Hood, de Washington, de Santa Monica, de Newton, de Brookfield, de Minneapolis, d'Aurora, d'Oak Creek, d'Oakland, de Seal Beach, de Tucson, d'Huntsville, de Manchester, de Binghamton, de Dekalb et d'Omaha, il est déjà trop tard.

Tout ça, depuis seulement huit ans.

Nous avions déjà oublié la plupart...

Et ce ne sont que les tueries chez notre voisin d'à côté. Chez nos voisins de plus loin, il y a des milliers de tueries, dont on ne parle jamais.

Quand aurons-nous le coeur moins épais ?