Jeudi soir, je parcours mon fil Twitter. Un message de l'animateur Louis Lemieux me saute aux yeux: «Un petit minou est prisonnier sous le tablier du pont Jacques-Cartier... Fait tellement pitié.» Hooon! Il y a une photo à l'appui. Je cherche le chat sous la structure. Je ne le trouve pas. Ou plutôt, j'en trouve plein. Chaque tache brune, grise ou blanche se transforme dans mon esprit en chat. Et des taches grises, brunes ou blanches sous le pont, il y en a une meute. Est-ce ça, le chat? À moins que ce ne soit ça? Ou ça? Peu importe, je crois sur parole l'animateur. Pauvre petit chat.

@LouisLemieux nous tient informés, durant toute la soirée, de son sort. 21h13: des dizaines de passants sont attroupés rue Sainte-Catherine à regarder, impuissants, le chaton miauler. 21h48: les pompiers arrivent. 21h49: les pompiers constatent que le minet est vraiment mal pris. Ils ne seront probablement pas en mesure de le rejoindre. La communauté Twitter déprime. On a beau ne pas vraiment distinguer le minou sur les photos, on est attaché à lui. C'est comme le mouton du Petit Prince. On sait qu'il est dans la boîte. Le chat ciel est invisible pour les yeux.

21h58: les pompiers lèvent la grande échelle. Ils vont essayer de le sauver. Le petit oiseau Twitter retient son souffle. 22h09: mission accomplie! Le chat est de retour au niveau des nids-de-poule. Louis Lemieux est heureux! Et nous aussi! On a même droit à une photo du petit minou dans les bras de son protecteur. Et comble du happyend, à 23h39, on voit le chat buvant du lait chez Louis Lemieux qui l'a adopté. Nos coeurs sensibles sont réconfortés.

Grâce aux tweets de l'animateur, on a vécu un bon vieux film à la Walt Disney. Animal abandonné, animal en danger, animal sauvé, animal aimé. Les messages de joie fusent de partout. Vive les pompiers!

Mais l'humanité étant ce qu'elle est, il y en a toujours pour critiquer le plus innocent des faits divers. Arrive un flot de commentaires amers. Pourquoi perdre son temps à sauver un chat quand on ne s'occupe pas des itinérants? Vous êtes pathétiques avec votre ti-minou! Ce chat a plus d'attention que les réfugiés syriens! Le ton monte. On se moque de tous ceux qui sont venus à la défense du chat sur un pont brûlant. C'est toujours ainsi. Quand des gens s'émeuvent, agissent et se réjouissent, il y en a toujours pour les traiter de cons. Il n'y a rien de plus provocateur que la bonté. Que la gentillesse. Elle agresse ceux qui en manquent.

Bien sûr, jeudi soir, à Montréal, on a seulement sauvé un minou égaré. Bien sûr qu'il faudrait loger tous les sans-abri. Bien sûr qu'il faudrait accueillir tous les rescapés. Mais pourquoi s'en prendre à ceux qui ont secouru le chat? Ça n'a pas rapport. Pourquoi essayer de faire filer mal des gens qui n'ont fait que quelque chose de bien? Si vous tenez tant à critiquer vos semblables, critiquez ceux qui blessent, ceux qui exploitent, ceux qui tuent. Ou critiquez ceux qui ne font rien. Mais se scandaliser parce que des gens ont à coeur la vie d'un chat, c'est rater sa cible.

Bien sûr, un chat, c'est seulement un chat, mais c'est déjà chat. Y a rien à dénoncer. Une bonne action n'en empêche pas une autre. Personne n'est passé au feu parce que les pompiers ont pris le temps de tirer un chaton du pétrin. Un petit geste n'en empêche pas un plus grand, au contraire. C'est l'addition de tous les petits gestes qui finira par nous rendre capables d'en faire un déterminant. Transformant.

Si vous croyez que sauver un petit chat, c'est une perte de temps, écrire des messages pour critiquer ceux qui ont sauvé un petit chat, c'est quoi? Une plus grande perte de temps. Si vous pensez qu'il y a une façon d'améliorer le sort des itinérants ou des rescapés, agissez! Faites-le! Au lieu de vous en prendre aux âmes sensibles, donnez l'exemple. Allez la sauver, la société! Ça demande plus d'efforts que de la mépriser.

Je fais plus confiance à ceux qui, voyant une bête en danger, font tout pour la sauver qu'à ceux qui, voyant ces gens agir ainsi, s'empressent de les ridiculiser. Si jamais il m'arrive quelque chose en pleine rue, j'espère que ce sont les premiers qui passeront près de moi.

Ce n'est pas parce qu'on s'émeut pour un chat qu'on ne s'émeut pas pour un humain. Au contraire!

Aider n'est pas un geste calculé. Aider est un réflexe. Un élan. Quand on voit un chat pris sous le tablier du pont Jacques-Cartier, on ne se met pas à analyser que, si on essaie de le tirer de là, on fait un geste symbolique pouvant être perçu comme une atteinte vis-à-vis de tous les êtres humains faisant face à des situations plus tragiques. On voit un chat mal pris, on le déprend. C'est tout.

Ceux qui trouvent l'action insignifiante, c'est leur droit. Ceux qui trouvent l'action réconfortante, c'est leur droit aussi. Pas besoin de leur tomber dessus.

Parce que si, un jour, on arrive à sauver tous les humains en danger, comme le chat du pont Jacques-Cartier, c'est parce que tous les humains en vie auront appris à se respecter.

Commencez donc à le faire sur votre fil Twitter.

Ce n'est qu'en respectant le monde qu'on pourra le sauver.

Et puis, Monsieur Lemieux, comment allez-vous l'appeler? Jacques Cartier? Ou Tablier?