Lundi dernier, à New York, deux records du monde ont été établis.

D'abord, le record de la toile la plus chère jamais vendue aux enchères: Les Femmes d'Alger de Picasso, peinte en 1955, et qui a été adjugée à un riche anonyme ayant offert 179 millions de dollars américains. À ce prix-là, je me demande si le petit crochet à l'arrière est fourni?

L'autre record, celui de la bêtise humaine en matière de censure: la chaîne Fox en rapportant la nouvelle a caché les seins des Femmes d'Alger. Oui, des seins versions cubistes! C'est aussi surréaliste comme décision que les peintures de Picasso! On a traité l'oeuvre de l'un des plus grands génies artistiques de l'humanité comme s'il s'agissait d'une image pornographique. On ne montre pas ça, chez nous! Honte à Fox! L'intégrisme des esprits est plus répandu que l'on pense.

J'essaie d'imaginer la scène dans la salle des nouvelles de Fox. Le monteur est en train de préparer la manchette, le producer la regarde:

«C'est quoi ça, ce tableau-là? On n'est pas PBS, icitte!

- C'est un tableau qui vient de se vendre pour presque 180 millions de piastres.

- Holy chit! 180 millions, pis on reconnaît pas personne! T'es sûr qu'il est dans le bon sens?

- Me semble, si je me fie à la tête à gauche.

- Ça s'appelle comment? Les champignons hallucinogènes étaient bons!

- Non. Ça s'appelle Les Femmes d'Alger de Picasso.

- C'es-tu d'Alger ou c'est de Picasso?

- Alger et Picasso ont dû le faire ensemble. Les Femmes d'Alger et de Picasso.

- Donc, c'est des femmes. Ça veut dire que ça, les ronds avec des points, c'est pas des yeux, c'est des seins?

- Ça doit. Quoique ça ressemble aussi au museau de Snoopy.

- Faut que tu caches ça! On peut pas mettre des seins en ondes à Fox! On a caché les seins des Femen du Québec, la semaine dernière.

- Oui, mais là, c'est des seins abstraits. Ça excitera pas personne.

- C'est pas grave, chez Fox, on fait abstraction de rien. Surtout quand c'est tout nu. Tu me mets tous les seins flous. Nous, on n'encourage pas la déchéance.»

Ces cons ont mis tous les seins flous. En terme de télé, on appelle ça flouter. C'est une pratique à éviter le plus possible. Quand on veut cacher quelque chose, on rend flou une partie de l'image. Mais ça fait exactement l'effet contraire que celui souhaité. Au lieu de la dissimuler, on attire l'attention du téléspectateur vers cette partie de l'image. Et la partie censurée devient plus importante que le sujet. Ça distrait.

Dans ce cas-ci, ça fait plus que distraire, ça scandalise. C'est un outrage. Barbouiller un chef-d'oeuvre, pour cacher une représentation d'une partie du corps féminin. Fox montre des choses horribles, à longueur de journée: des meurtres, des guerres, des tueries. Sans pudeur. Sans rien flouter. Et voilà que pour une fois, parce que le cash les intéresse, on diffuse une oeuvre d'art, on l'a floute! Floute de floute!

Cette gang d'abstraits a oublié de flouter les fesses que l'on aperçoit en plein milieu du tableau. Probablement parce qu'ils n'ont pas compris que c'en était. Ils ont dû penser que c'était un cornet ou un gant de boxe.

Il va falloir finir par en revenir du corps humain nu! Ce n'est pas la nudité le problème. C'est ceux qui ne le respectent pas. Ceux qui en abusent. Ceux qui le maltraitent. Ceux qui le violent. Ceux qui le briment. Ceux-là sont souvent habillés et ils sont plus dégradants, plus choquants que tous les seins, les fesses et les bites du monde. Ostraciser des parties du corps humain ne fait que créer des obsessions.

Quand t'es rendu à censurer les seins des tableaux de Picasso, c'est que t'es un obsédé, un méchant obsédé. Beaucoup plus dangereux que ceux qui les contemplent.

Ça s'est passé à New York en 2015. On a encore du chemin à faire.

Pour ceux qui sont davantage scandalisés par le montant déboursé par l'acquéreur du tableau que par les seins floutés, dites-vous que Floyd Mayweather a touché 140 millions au début du mois pour un seul combat de boxe. Et le combat était plate à regarder. Tandis que l'oeuvre de Picasso est belle et puissante à regarder. Pas juste un soir. Pour l'éternité.