C'est plus qu'un fait divers. C'est un fait héroïque. Comme il n'en arrive pas souvent. Ça ne s'est pas passé au cinéma. Ça s'est passé dans la vraie vie. À Chambly. L'histoire d'un drame. D'un épouvantable drame qu'on a pu lire dans Le Journal de Montréal.

Lundi, à la fin de la journée, Rémy Nolet et Catherine Desautels sont partis de l'île Demers en canot pour aller souper au centre-ville de Chambly. Vers 17h, le temps a commencé à se gâter. Il ne faisait vraiment pas beau. Le vent s'est déchaîné, les vagues se sont gonflées. L'embarcation a chaviré. Un des gilets de sauvetage est parti à la dérive; Catherine a réussi à agripper l'autre. Rémy l'a rejointe et ils se sont maintenus, la tête hors de l'eau, en s'appuyant sur le gilet.

Je ne sais pas ce que vous faisiez, lundi en fin de journée, moi, je jasais musique avec un vieil ami dans mon bureau. Vous, vous étiez peut-être pris dans un bouchon de circulation. Ou en train d'acheter de la salade pour le souper. Bref, on faisait toutes nos petites affaires. Comment aurions-nous pu savoir qu'au même moment, deux adolescents luttaient pour leur vie dans la rivière Richelieu, comme Jack et Rose dans Titanic?

Rémy a dit à son amie: «Cath, mets la ceinture. Mets-la!» Catherine l'a mise. Peu de temps après, une vague a emporté Rémy. Catherine a nagé vers la rive pour aller chercher du secours. Elle a nagé durant deux heures. Au bout de ses forces, elle a vu une maison blanche au loin. Elle a crié. Richard Contant l'a entendue. Et il a sauté à l'eau pour la sauver.

Au moment où j'écris ces lignes, on n'a toujours pas retrouvé Rémy Nolet. Mais on a trouvé un héros. Un vrai. Pas un héros de Hollywood. Pas un héros préfabriqué. Pas un héros de comic book. Pas un Captain America, un Hulk ou un Thor. Pas un héros avec des pouvoirs surnaturels. Un gars bien ordinaire qui voulait devenir maçon. Qui, par un soir de mai, s'en allait manger une pizza avec son amie quand son destin s'est assombri. Le destin peut être plus cruel que tous les méchants de films d'action réunis.

Rémy n'avait pas de pouvoirs surnaturels pour les sortir de là. Il n'avait que son courage. Que son coeur. Et c'est grâce à son coeur que son amie est en vie.

L'instinct de survie, c'est sauver sa peau. Sa peau à soi. Quand son instinct de survie, c'est la survie de l'autre, c'est qu'on a l'instinct du héros. Du surhomme.

La fille de l'un de mes grands amis allait à l'école avec Rémy. Elle n'est pas surprise de son geste. Au secondaire, c'était un bon gars droit qui pensait aux autres. En situation extrême, il a continué d'agir selon sa nature. Pas besoin de pouvoirs surnaturels quand on est une bonne âme naturelle. On continue d'être ce que l'on est. Et l'on fait ce que peu de gens auraient la force de faire: donner à l'autre ce dont on a besoin. Se sacrifier.

Le père de Rémy est fier de son fils. Il y a de quoi. Lui non plus n'est pas surpris: «Il aurait tout fait pour Cathou et pour ses amis», dit-il.

Richard Contant ne connaissait pas Catherine. Quand il a sauté dans l'eau agitée du Richelieu, il allait au secours d'une inconnue. Il n'a jamais hésité, se disant que cette inconnue pourrait être sa fille. C'est ça, la solidarité. Comprendre, jusque dans ses réflexes, que nous sommes tous liés. Faire pour les gens aimés d'autres ce que l'on voudrait qu'on fasse pour les gens qu'on aime. C'est ça, une société. Veiller sur tous.

Une histoire, deux héros.

Le père de Rémy sera éternellement reconnaissant envers Richard Contant. Sans lui, Catherine n'aurait jamais pu témoigner de la grandeur de son fils.

Ce drame est un récit de gens admirables. Une chaîne de braves. Autant le disparu que la rescapée, que le bon Samaritain, que les familles affligées. Tout le monde a réagi avec honneur. Aucune agressivité. Aucune parole déplacée. Que de la reconnaissance. Tout le monde pense aux autres. Tout le monde fait attention aux autres. Du moment où le canot chavire au moment où toutes ces vies chavirent, on se tient. On s'élève. On s'en sort. Ensemble.

En ces temps de terreur et de guerres, où la vie des autres semble si insignifiante pour certains, c'est réconfortant de savoir qu'il y a encore des Rémy Nolet et des Richard Contant, des êtres pour qui la vie des autres est aussi importante que la leur. Et quand vient le temps de faire un geste pour sauver quelqu'un, ils le font. En risquant d'y passer.

Il faudrait qu'on parle de ces actions autant que l'on parle des crimes des mécréants. Pour que leur courage donne du courage à d'autres. Pour nous donner le goût d'être bons. D'être comme eux. C'est à ça que servent les vrais héros. Personne ne peut devenir Superman. Mais en libérant notre coeur de notre égoïsme, on peut espérer devenir des Rémy Nolet.

Bien sûr, il faut aussi retenir de ce lundi sombre qu'il faut en tout temps, dans une embarcation, porter son gilet de sauvetage. Ce monde a trop besoin de héros pour se permettre de les perdre. Portez-le en pensant à Rémy. Il continuera à sauver des vies.