En plein milieu d'une réunion, le type en face de moi sort quelque chose de la poche de son veston. Je crois que c'est une plume Mont-Blanc. Soudain de la boucane émane du stylo. Ce n'est pas parce que le monsieur écrit des propos incendiaires. C'est une cigarette électronique.

Juste l'appellation est déjà bizarre: cigarette électronique. On dirait une expression sortie de Patrouille du Cosmos. Je verrais très bien Spock offrir au capitaine Kirk cet objet étrange:

«Qu'est-ce que cela, Spock?

- C'est une cigarette électronique, mon capitaine.»

Et les deux s'en allument une en regardant les écrans de l'Entreprise.

Sauf que dans la vraie, en 2014, quand on ne porte pas un pyjama jaune fluo, ça fait anachronique.

De plus, la personne ne fume pas, elle vapote. Qui a trouvé ce verbe-là, vapoter? Je vapote, tu vapotes, il ou elle vapote. Fumer, ça faisait viril, ça faisait macho. Vapoter, ça fait précieux, ça fait dépressif: je file pas de ce temps-là, je vapote, je vapote...

Ce ne sont pas des fumeurs, ce sont des vapoteurs. On dirait une pièce d'automobile francisée par l'Office de la langue française:

«Veux-tu changer mon exhaust?

- Tu veux dire ton vapoteur.»

Quand le vapoteur s'apprête à vapoter, il déballe son matériel. On croirait qu'il est en train de s'administrer un traitement médical en public. Une sorte de pompe à asthme avec humidificateur intégré.

Il y a une boucane permanente autour de la bouche du monsieur en face de moi. Comme si de l'autre côté de la table, il faisait - 20 ºC.

Il y a 30 ans, le même homme aurait sorti son paquet de Du Maurier, extrait une cigarette, pris son briquet, fait jaillir une flamme et inhalé une grosse poffe, tout en se mettant à parler. Il aurait eu l'air cool. L'air d'un homme qui brasse de grosses affaires. Faut l'avouer, les gens qui fumaient avaient du style. Comme dans Mad Men. Des ténébreux rebelles: James Dean, Serge Gainsbourg, René Lévesque...

La cigarette classique donnait à son utilisateur un air important. Un air songé. Un air occupé. Cette façon de la tenir sur le bout des lèvres, tout en plissant un oeil, pendant que la fumée montait vers le ciel. Dans l'ancien temps, les fumeurs avaient à la bouche un flambeau. Ils avaient aussi à la bouche, un incinérateur. Car cette habitude a causé la mort de millions de personnes, rendant tout ça pas cool du tout.

Les adeptes de la cigarette électronique n'ont pas l'air d'acteurs de cinéma. Ils ont l'air d'intoxiqués désespérés s'étant bizouné quelque chose pour survivre. Quelle dépendance! Mâche de la gomme, mange des peanuts, mets-toi un patch, mais range ton ti-kit électronique!

Quand une personne fumait, on finissait par oublier la cigarette, et on se concentrait sur son propos. Le gars en face de moi est en train de parler, mais personne ne l'écoute. On examine son bidule. On se demande comment ça fonctionne. On se demande aussi si c'est dommageable pour sa santé, et surtout pour la nôtre.

Il y avait comme un brouillard autour de cette question, qui se dissipe peu à peu. L'Organisation mondiale de la santé a publié cette semaine un document qui recommande d'interdire la vente de cigarettes électroniques aux mineurs, estimant que leur consommation pose de graves menaces pour leur santé. Surtout au niveau de cerveau, qui est quand même une pièce importante du corps humain. Les experts ont également recommandé l'interdiction de la cigarette électronique dans les espaces publics fermés. Bref où il est interdit de fumer, il devrait être interdit de vapoter. Aussi simple que ça.

L'aérosol produit par les inhalateurs de nicotine n'est pas de la simple vapeur d'eau. Il y a des substances toxiques dans ce nuage. Moins que dans le nuage de la cigarette classique, mais il y en a quand même. Ce n'est pas parce qu'un poison est moins poison qu'un autre poison que ce n'est pas un poison.

Que les entreprises qui tentent de devenir riches sur le dos et surtout sur les poumons des dépendants à la nicotine se le tiennent pour dit: de la boucane, c'est de la boucane. Qu'elle provienne d'une cigarette électronique, d'une cigarette digitale, d'une cigarette solaire ou au gaz, on n'en veut pas dans notre environnement communautaire!

Cela dit, je n'ai contre les vapoteurs. Au contraire. Je sais que vous voulez bien faire. Votre innocence est touchante. Vous croyez avoir trouvé la cigarette idéale. La cigarette santé, ça n'existe pas! La poutine va toujours faire engraisser. La nicotine va toujours intoxiquer.

Il y a une habitude tellement plus plaisante que de fumer ou de vapoter, c'est de respirer. Je vous la recommande. Je sais. L'air est pollué, n'empêche que le parfum d'une fleur, du gazon après la pluie, d'une passante souriante, c'est tellement plus agréable.

Le type devant moi vient d'éteindre sa cigarette. Pas en l'écrasant dans un cendrier, mais en pesant sur un bouton. Il ne semble pas satisfait. Il y avait quelque chose dans l'écrasement du mégot de cigarette de gratifiant. Comme si on venait d'accomplir quelque chose. Tandis qu'éteindre une cigarette électronique, c'est comme éteindre une lumière, il y a comme un vide après. Comme si c'était la fin.

Est-ce que les lois auront raison de ce nouveau gadget? Où est-ce que le plaisir des utilisateurs décroîtra avec l'usage? Une chose est sûre, l'homme se donne bien du mal pour ne pas se faire de bien.