Je suis sur la plage de San Francisco, pas très loin de sa maison à Tiburon. Je viens de prendre une photo de l'océan, et en voulant la mettre sur Twitter, c'est là que j'apprends la nouvelle. Ça vient de sortir: Robin Williams s'est suicidé. Tout de suite, son visage apparaît dans ma tête. Avec son sourire fait d'une seule ligne. Comme un trait de crayon. À la Charlie Brown. Et ses yeux bons au regard mouillé. Sur le fil, ça dit qu'il est mort par strangulation. L'image que ça envoie dans mon cerveau me donne le frisson. Cet homme qui m'a fait tant rire me laisse toute sa peine pour finir.

J'oublie la photo du Pacifique et j'écris un tweet: Robin Williams rejoint la Société des poètes disparus. Merci pour les grandes inspirations. Paix à son âme. On est des milliers à partager notre émoi, à vif, sur les réseaux sociaux. Une nouvelle façon de se faire consoler.

Ma blonde revient de sa marche sur la grève. Je lui annonce ça comme on annonce un drame. Avec une voix qui fait bang. Robin Williams s'est suicidé. Elle grimace. Ça lui fait mal. On regarde la mer en silence.

C'est bizarre, la mort d'une star. Ça ne nous accable pas comme la mort d'un proche. Mais ça nous mine en dedans. Comme si tous les souvenirs qu'on lui doit changeaient de couleur. Devenaient gris. On a soudain le désir de tout revoir: Madame Doubtfire, Good morning, Vietnam, Le Cercle des poètes disparus, Patch Adams, son spectacle sur Broadway, ses apparitions à Letterman et Carson. On le regarde, mais on ne le reçoit plus comme avant. Y'a une tristesse dans nos rires. Y'a une tristesse dans notre émerveillement. La sienne, probablement.

Certains s'étonnent qu'un comique se soit enlevé la vie. Un comique n'est pas plus à l'abri du foutu désespoir qu'un soldat ou qu'un plombier. Être drôle, ce n'est pas être heureux. Être drôle, c'est regarder dans les yeux le malheur et lui tirer la langue. Peut venir un jour où il prend sa revanche. Le comique est une tragédie en accéléré. Comme les vues de Chaplin.

On ne comprend pas le mal de vivre de Robin Williams, pas plus qu'on comprend le mal de vivre de qui que ce soit. Ils ont dû être nombreux, ses amis, à lui dire: «Robin, t'as tout pour être heureux, des enfants, une épouse, un métier où tu es respecté, des millions de fans qui t'admirent et un Oscar. Tu peux être fier de ta vie. Savoure-la!» Il devait sourire et les regarder avec ses yeux mouillés. Le problème, ce n'est pas ce qu'on a. Le problème, c'est ce qu'on est. Pas pour les autres. Pour soi.

Le mal de vivre, personne ne fait rien pour l'avoir. C'est comme la chanson de Barbara, la grande poète disparue:

Ça ne prévient pas quand ça arrive

Ça vient de loin

Ça s'est promené de rive en rive

La gueule en coin

Et puis un matin, au réveil

C'est presque rien

Mais c'est là, ça vous ensommeille

Au creux des reins

Le mal de vivre

Le mal de vivre

Qu'il faut bien vivre

Vaille que vivre...

Ils ont beau vouloir nous comprendre

Ceux qui nous viennent les mains nues

Nous ne voulons plus les entendre

On ne peut pas, on n'en peut plus

Et tout seuls dans le silence

D'une nuit qui n'en finit plus

Voilà que soudain, on y pense

À ceux qui n'en sont pas revenus...

Je suis chanceux, le mal de vivre ne s'est jamais approché de moi. J'apprécie chaque seconde de la vie, qu'elle soit fantastique, dégueulasse ou juste plate. Il me suffit de regarder l'océan pour avoir envie d'être là. Merci à ma chimie.

Que peut-on faire pour aider ceux qui se battent avec eux-mêmes, ceux qui sont leurs pires ennemis, ceux qui sont leurs propres assassins? Il faut plus que les aimer. Il faut les aider à s'aimer. Pour que le bon Robin Williams ait raison du mauvais Robin Williams. Et non le contraire. Ça prend des millions de Patch Adams, des millions de John Keating. Un jour, peut-être...

Goodnight, Robin.