Quand Nathalie Normandeau a vu le bouquet, elle a rougi, c'est certain. Recevoir 40 roses, il y a de quoi en devenir une. Elle a dû se demander de qui cela pouvait bien venir. Son chum? Un ex? Un admirateur secret? Dans sa tête, des visages d'hommes ont du défiler comme les participants d'Occupation double sur le tapis rouge.

On est toujours fébrile quand on reçoit des fleurs. Dans ce monde informatique, c'est le dernier des gestes romantiques. Ça ne se fait pas par courriel ni par texto. Ce n'est pas virtuel. Ça se sent. Ça se touche. Ça prend de la place. Ça change le décor. C'est une présence vivante.

Le coeur battant, elle a ouvert la carte et lu le nom de l'être attentionné: Lino Zambito. Zambito? Zambito? Peut-être que ça ne lui a rien dit sur le coup. Une vice-première ministre rencontre tellement de gens. Elle s'est peut-être imaginé un bel Italien à la Marcello Mastroianni. Ou peut-être que la face de Lino Zambito lui est tout de suite venue à l'esprit. Le cher Lino.

Une chose est sûre, elle a souri. Et elle l'a trouvé gentil.

Un être qui donne des fleurs est toujours un enfant de choeur. Un petit page.

Les avocats de la commission Charbonneau n'ont pas posé la question essentielle: de quelle couleur étaient les roses?

Selon le site offrirdesfleurs.info, si elles étaient rouges, ce n'est pas seulement les faveurs ministérielles de Nathalie qu'espérait Lino. Le rouge, c'est la passion, bien sûr. Si elles étaient noires, l'entrepreneur aurait été encore plus entreprenant puisque les roses noires symbolisent le désir charnel.

Les roses jaunes envoient des messages contradictoires signifiant à la fois l'amitié et l'infidélité. Les roses mauves trahissent tristesse et nostalgie. Les roses bleues signifient mystère, patience et espoir, tandis que les classiques roses roses représentent un amour pur et timide. C'est probablement ce que Lino a choisi. Après tout, il faisait ça dans le but de développer des affaires, pas de développer une affaire. À moins qu'il ait préféré des roses orange, comme les cônes qui orneraient ses chantiers futurs.

Il faudra attendre qu'il passe à Denis Lévesque pour enfin connaître ce détail important.

Il n'y a pas que la couleur qui soit significative lorsque l'on donne la fleur du Petit Prince. Le nombre l'est aussi.

Toujours selon offrirdesfleurs.info, si on offre une seule rose, cela témoigne d'un amour honnête et simple. Si on en donne 12, on remercie la personne pour ce qu'elle fait, pour ce qu'elle est. Un bouquet de 24 roses témoigne d'une grande galanterie: je t'aime et je te respecte. Offrir 36 roses, c'est dévoiler les intentions les plus profondes: je veux te séduire, je te désire. Imaginez 40!

Bien sûr, dans le cas de Zambito, c'est le 40e anniversaire de Nathalie Normandeau qui a guidé son choix du nombre de tiges. Peut-être aussi voulait-il exprimer son désir de refaire l'autoroute 40? On a beau posséder un bulldozer, on peut être subtil.

Une chose est sûre, à lire la tendre lettre de remerciements de Mme la ministre, Lino a marqué des points:

«Cette délicate attention m'a grandement touchée, elle est l'expression de votre générosité et je tiens à vous remercier chaleureusement. Vous avez contribué à rendre cette journée encore plus belle.»

Investissement gagnant. Lino est devenu plus qu'un simple citoyen aux beaux yeux de la vice-première ministre. On ne se trompe pas en donnant des roses. Le pouvoir des fleurs est le plus grand. Parce qu'il sent bon.

Bien sûr, Lino aurait envoyé 40 roses à Sam Hamad, cela n'aurait pas eu le même effet.

Maintenant, est-ce que Nathalie Normandeau a été si séduite par ces roses qu'elle a facilité l'obtention de contrats gouvernementaux à son Fernand Gignac italien? On ne le sait pas. C'est ce que la commission Charbonneau doit confirmer ou infirmer.

Pour le moment, c'est un peu court.

Comme geste scandaleux et incriminant, on a déjà vu pire qu'un envoi de fleurs.

Parler de roses, dans une commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, a quelque chose de poétique. D'innocent.

C'était un peu pathétique de voir cet extrait du témoignage de Zambito à tous les bulletins d'information, comme si c'était le Watergate.

Un bouquet de roses, ce n'est pas une enveloppe brune, quand même.

Une rose, ce n'est que la reine des brindilles.

Tous les hommes peuvent envoyer des fleurs aux belles dames, autant qu'ils le veulent.

Ce geste ne peut pas être mauvais. Ce geste ne peut pas être coupable.

Au-dessus de toutes les lois et de toutes les règles devrait trôner le droit à la fleur.