Ça s'est passé au badminton. Le racket de la défaite. Le «Moineaugate». Huit joueuses (quatre duos féminins) ont été exclues des Jeux de Londres pour ne pas avoir fait tout leur possible pour gagner un match du tournoi à la ronde.

Les Chinoises Yu Yang et Wang Xiaoli, numéro 1 mondiales, ont fait exprès pour s'incliner devant les Sud-Coréennes Jung Ky-ung et Kim Ha-na, pour ne pas devoir affronter lors du match suivant leurs compatriotes chinoises et ainsi augmenter les chances que la grande finale oppose deux équipes du pays de Confucius. Vous me suivez? Le problème, c'est que les Sud-Coréennes n'avaient pas plus le goût d'affronter l'autre équipe chinoise. Elles aussi essayaient de ne pas gagner. Ce qui a donné lieu au match le plus ésotérique de l'histoire du badminton. Le volant fou atterrissant un peu partout. Dans le filet, hors-ligne, même sur le chapeau de la reine, ce qui lui allait d'ailleurs très bien.

Deux autres paires de very badmintonneuses, les Sud-Coréennes Ha Je et Kim Min-jung et les Indonésiennes Meiliana Juahari et Polii Greysia, se sont aussi pogné le moineau durant leur affrontement dans l'espoir de perdre et d'éviter l'équipe rivale devant affronter la gagnante.

Ce scandale olympique soulève une grande question métaphysique: l'athlète est-il condamné non seulement à devoir gagner, mais à vouloir gagner? La liberté de ne pas vouloir gagner lui est interdite.

Objectivement, les huit joueuses n'ont rien fait d'illégal. Elles n'ont pas consommé de drogue pour diminuer leurs performances, ni avalé six cachets de valium pour jouer au ralenti. Elles n'ont pas non plus parié sur la victoire de leurs opposantes. Elles ont juste joué comme des poches. Comme on joue au terrain de camping quand le volant vole moins que les maringouins, et se retrouve toujours à nos pieds.

Le droit d'être poche est pourtant un droit fondamental en société. Il est revendiqué par tous: politiciens, avocats, dentistes, cols bleus, chanteurs, fonctionnaires, chroniqueurs, etc. Il n'y a qu'aux Jeux olympiques qu'il devient une cause de rejet.

Il n'y a qu'aux Jeux olympiques qu'on expulse des athlètes parce qu'ils n'ont pas fait tout leur possible pour gagner. Si cette règle était appliquée dans la LNH, ça ferait longtemps que le Canadien serait débarrassé de Scott Gomez.

Pourtant, la devise du baron Pierre de Coubertin, le rénovateur de l'olympisme, appelle à plus de clémence: L'important n'est pas de gagner, c'est de participer. Pour une fois que des athlètes appliquent à la lettre cette noble maxime, on les chasse comme des chiens pas de médaille. Faudrait se brancher. Si l'important, c'est juste de participer, les joueuses de badminton n'ont pas commis de crime. Elles se sont juste reposées, comme l'a dit l'une des joueuses. Si on peut se reposer avant ou après un match, pourquoi pas pendant?

Parce que... la télé. L'important, ce sont les commanditaires. Voilà, la vraie devise olympique. Si les athlètes se mettent à ne plus vouloir gagner, le public va se mettre à ne plus vouloir regarder, et les commanditaires vont se mettre à chercher un autre événement pour se mettre en valeur.

Le scandale des deux antimatchs de badminton, il est là. On a ri du monde. Du monde entier. Quoiqu'il ne faut pas exagérer. Trois milliards de personnes ne regardent pas le badminton. Même que plus de gens ont dû regarder sur YouTube les matchs du Moineaugate que le match de la médaille d'or. Mais c'est tout de même pour envoyer un message clair aux amateurs, aux diffuseurs et aux commanditaires que la sanction fut si rapide et dure. On ne tolérera pas le non-effort des olympiens. Sacrifiez-vous! Blessez-vous! Droguez-vous sans vous faire pogner. Bref, forcez-vous! L'important, c'est de gagner... en Adidas, si possible.

Si les Jeux de Londres coûtent si cher, ce n'est pas pour offrir un calibre de badminton digne du camping Sainte-Madeleine.

Ce qu'il y a de plus réjouissant dans cette décision de la fédération de badminton, c'est qu'elle condamne les équipes stratégiques. C'est par pure stratégie que la Chine, la Corée du Nord et l'Indonésie ont agi comme elles l'ont fait. Au fond, ces trois nations voulaient gagner, mais plus tard. Elles voulaient, en perdant tout de suite, augmenter leurs chances de médailles.

Dommage que les dirigeants de la fédération de badminton ne soient pas aussi à la direction d'Élections Québec, parce qu'il y a beaucoup plus que quatre paires de politiciens qui jouent de stratégie durant la présente campagne électorale québécoise. Ils le font tous, ou presque. Ils n'ont pas le choix. Et c'est ce qui gangrène la joute politique. Tout est si calculé, pensé, pesé, aseptisé. Bien sûr, ils ne jouent pas pour perdre. Oh non! Au contraire. Ils jouent trop pour gagner. Pourtant, ça ne devrait tellement pas être leur but premier. En politique, l'important n'est pas de gagner, c'est d'avoir des idées. Mais les rares qui osent oser sont vite écartés. Le pouvoir revient toujours à ceux qui ont été les plus habiles, les plus stratégiques.

Comment faire pour qu'il en soit autrement?

Je pense que je vais aller regarder les Jeux olympiques.