Mon Mac est gelé. La petite boule de toutes les couleurs tourne et tourne pour me faire patienter. Je ne patiente pas du tout. La petite boule de toutes les couleurs est la vision qui me tape le plus sur les nerfs. Plus que Gomez, Harper et les pubs qu'il faut subir avant de regarder une vidéo sur le Net.

Quand elle apparaît, le temps suspend son vol. J'arrête de respirer. Ma vie est à «pause», mon cerveau en panne. Habituellement, ça ne dure que quelques secondes, des secondes qui semblent des heures. Aujourd'hui, ça va faire 10 minutes qu'elle tourne - aussi bien dire 1000 ans.

Si mon ordinateur est capable de faire tourner une petite boule, pourquoi n'est-il pas capable de faire autre chose? Y est gelé ou y est pas gelé? Perds pas ton temps à faire virer une balle de clown et ouvre mon document! Nous, les humains, quand on perd connaissance, on ne se met pas à faire bouger nos orteils pour faire patienter notre interlocuteur. Ah, les mystères de l'informatique!

Bon, je n'ai pas le choix, je vais appeler Daniel. Après ma blonde et ma famille, Daniel est l'être le plus essentiel à mon quotidien. C'est mon gars d'ordinateur:

«Je pense que t'es mieux de redémarrer.

- Je redémarre... Rien.

- Comment ça, rien?

- Ben: rien, même pas de pomme, juste un écran gris.

- Je m'en viens.»

Daniel a beau vivre de l'autre côté du pont, chaque fois que la situation l'exige, il vient au chevet de mon Mac Pro. Ce n'est pas seulement un gars de service, c'est un gars serviable.

Il arrive toujours de bonne humeur, toujours calme. Tout le contraire de moi. Quand il arrive, je suis toujours de mauvaise humeur et toujours nerveux. Le coma de mon ordi est un drame qui m'atteint profondément.

Un ordinateur, c'est une entreprise. On est tous le PDG d'un empire quand on a un ordi. Il y a à l'intérieur des centaines d'employés qui exécutent des milliers de tâches. Il y a des secrétaires, des recherchistes, des discothécaires, des projectionnistes, des mathématiciens, des imprimeurs, des correcteurs, des photographes, des puces à tout faire qui obéissent au doigt et à l'oeil - surtout au doigt - à chacun de nos ordres. Soudain, ils débrayent tous en même temps. Ils font la grève! C'est la catastrophe. On est démuni. Frustré.

Je voudrais que Daniel trouve le problème tout de suite. Et que tous mes employés retournent au travail. Parfois, cela arrive. Aujourd'hui, le conflit s'éternise. Ça fait une heure qu'il est là, et l'écran est toujours à plat.

Comme un médecin qui explique à son patient le traitement qu'il lui administre, Daniel m'explique chacun des gestes qu'il fait pour ressusciter mon Mac. C'est gentil, mais je m'en fous. Je veux juste que ça fonctionne. Il s'informe de moi aussi. Demande des nouvelles de Marie-Pier. C'est gentil, mais je ne réponds pas. Quand mon ordi est gelé, je le suis aussi.

Malgré ma désagréable compagnie, Daniel garde le sourire. Des ordinateurs et des clients boqués, il ne voit que ça. Il taponne sur son portable, vérifie mon filage, martèle mon clavier. Un ordinateur, ça ne l'intimide pas. C'est comme une vache pour nos grands-pères, il sait comment ça marche. À travers tout ça, il lance quelques calembours. Daniel aime bien les calembours. Moi, je ne ris pas, je suis toujours gelé.

Finalement, il redémarre mon engin en mode espion, tape un message codé qui se termine par «reboot», redémarre encore, et tout réapparaît comme par magie. Je me rallume aussi. Mon Mac n'est plus un citron, il est redevenu une pomme.

Je retrouve le sourire et mon entregent. On parle de nos proches et de l'actualité. On badine.

Dans les minutes qui suivent, Daniel est mon héros. Il va le rester jusqu'à ce que mon imprimante cesse d'imprimer, que mon scanneur cesse de scanner ou qu'une application cesse de s'appliquer. Alors, il redeviendra le grand responsable. Car pour moi, Daniel est le prolongement de mon Mac, le génie à l'intérieur de la lampe. Quand ça va bien, c'est grâce à lui. Quand ça va mal, c'est à cause de lui.

Je suis chanceux de l'avoir. Un gars d'ordi fiable et dévoué, ça vaut des gigabits! J'en ai déjà eu un qui était plus du genre entrepreneur en construction. Il y avait toujours des extras. L'ignorance rend vulnérable, et les gars d'ordi en savent plus que nous sur une machine qui nous appartient. Comme les garagistes, ils ont toujours le dernier mot. Et certains en profitent.

Il devrait y avoir des boules de toutes les couleurs qui tournent sur le front des gars d'ordi qui essaient de nous en passer des petites vite.

Jeunesse, si vous vous cherchez une carrière, gars d'ordi est un bon choix. On n'est pas près de pouvoir s'en passer. Et pour vous former, je vous présenterai mon ami Daniel. C'est un bon exemple.

Sur ce, je vous zxwrwd... C'est quoi, ça? Phoque! Mon Word qui capote! Maudit Daniel, comment ça se fait qu'il n'a pas vu venir ça? Excusez-moi, faut que je l'appelle...