Samedi 8 janvier 2011. Il ne reste que trois minutes au match. Les Bruins de Boston mènent 2 à 0. Déprime au Centre Bell. Certains spectateurs quittent leur siège. Ils ont tort. Scott Gomez compte. Puis, 48 secondes avant la fin, le capitaine, Brian Gionta, crée l'égalité. On s'en va en prolongation.

La foule est en feu. Le Canadien aussi. Max Pacioretty décoche un plomb qui déjoue Tim Thomas. Victoire des Glorieux. En allant rejoindre ses coéquipiers pour célébrer son but, Pacioretty pousse Chara dans le dos. Une petite poussée de rien du tout. Une pichenette. Un petit «quin toé» en passant. Le géant n'aime pas ça. Il sort de ses gonds. Bouscule les vainqueurs en train de se féliciter. Chara est en crisse. Humilié. La petite pichenette l'a touché en plein sur le bobo. En plein sur l'orgueil. Zdeno note le numéro du petit insolent : 67.

Deux mois plus tard, exactement. Toujours au Centre Bell. Il reste 23 secondes à la deuxième période. Le Canadien mène 4 à 0. Mise en jeu à la droite de Carey Price. La rondelle se dirige vers la ligne bleue. Le numéro 67 patine à fond de train pour devancer Chara et pousse le disque devant lui. Chara colle Pacioretty sur la bande et le soulève avec son bras, tout droit vers le montant de la baie vitrée. Pacioretty s'y cogne violemment la tête. Tombe au combat. Fracture cervicale et commotion cérébrale. Bienvenue dans la Ligue nationale !

Chara a soutenu qu'il n'avait pas l'intention de blesser Pacioretty. Ben quin ! C'est sûr que non. Il avait l'intention de l'éliminer, de le sortir du jeu, de le réduire en purée, de l'écrabouiller, mais pas de le blesser.

Chara a même soutenu qu'il ne savait qui était le joueur qu'il a secoué. Ben quin ! Le jeu se passe immédiatement après la mise en jeu. Pacioretty est placé en ligne droite devant le capitaine des Bruins. C'est le gars que Chara doit surveiller. De plus, il patine vers lui. Mais Chara ne sait pas qui il est. Le B sur son chandail, ça doit être pour «balivernes».

Bien sûr que Chara savait qui c'était. Ça fait deux matchs que Chara cherche Pacioretty sur la glace. Il veut régler le cas du jeune baveux qui a osé le pousser après l'avoir fait mal paraître devant des milliers de personnes. Quand Chara a réalisé que Pacioretty était à sa merci, il en a mis un peu plus, question d'apprendre au numéro 67 qu'on ne niaise pas impunément Zdeno Chara.

Les dirigeants de la LNH n'ont pas suspendu le building slovaque parce que, selon eux, il n'avait pas l'intention de blesser son adversaire. Les dirigeants de la LNH ne regardent pas les matchs de hockey. Si c'est l'intention qui compte, Chara a scoré, mardi dernier. Assisté par la bande. On ne peut pas être moins innocent que lui.

Les innocents, en passant, ne jouent pas longtemps au hockey. Pour survivre dans cette ligue, il faut frapper avant d'être frappé.

Le hockey n'est pas un jeu. Le hockey est une guerre. On n'imagine pas le stress qui habite les joueurs quand ils sautent sur la glace. Si vous avez le courage de prendre possession de la rondelle, vous devenez la cible. L'homme à abattre.

Les équipes qui gagnent sont celles dont les joueurs sont prêts à payer le prix. Prêt à risquer leur vie. Ou, en tout cas, une bonne partie de leur intégrité physique.

C'était ainsi au temps de Maurice Richard, au temps des Flyers de Philadelphie, au temps du massacre du Vendredi saint, et ce l'est encore. Il y a toujours eu des scènes disgracieuses et des moments d'effroi. Seulement, maintenant, les gars sont plus grands, sont plus costauds, sont plus rapides, alors les contacts deviennent inhumains. On a beau mettre un casque, la tête n'est pas faite pour subir ce genre de coup.

La dureté du mental a ses limites. Sidney Crosby, le meilleur joueur du circuit, a beau avoir une volonté de fer, il ne peut rien faire tant que son cerveau est en compote.

Avant que les patinoires deviennent des champs de légumes, il faut prendre des mesures pour protéger ce qui demeure le principal organe du corps humain, même chez un dirigeant de la Ligue nationale.

Il faut changer la culture de ce sport. C'est bien beau, l'intensité; c'est bien beau, se sacrifier; c'est bien beau, la rage de gagner. Mais il faut tracer des limites aux comportements entiers des joueurs. La violence ne peut en aucun temps être tolérée.

Le joueur de hockey doit être aussi responsable de ses gestes que n'importe quel citoyen. Ce n'est pas le montant de la bande qui est venu heurter Pacioretty, c'est Chara qui a garroché le joueur du Canadien dessus. C'était à Chara d'évaluer les conséquences de son jeu viril.

Si on veut que les joueurs apprennent à se respecter et à mesurer leurs ardeurs, on ne peut laisser impuni le geste du numéro 33 des Bruins.

Le hockey est le plus émotif de tous les sports de contact. On n'arrête pas toutes les 10 secondes comme au football pour reprendre ses esprits et penser stratégie. On se rentre dedans et le jeu continue, et on se rentre dedans encore et encore. Un jour, c'est certain, un joueur va aller trop loin.

Voilà pourquoi il faut envoyer un signal clair. Si les boxeurs n'ont pas le droit de se frapper en bas de la ceinture, les joueurs de hockey ne devraient pas avoir le droit de se frapper en haut du cou. Jamais. C'est ce qu'on appellerait avoir les priorités à la bonne place.