Je suis en train de travailler à l'ordinateur. Le téléphone sonne. Je réponds. Jusqu'à maintenant, tout est normal:

«Allô?

- Cet appel est très important. Il concerne votre prêt hypothécaire...

- Excusez, à qui ai-je l'honneur?

La voix continue de parler:

- Il serait très important que le renouvellement...

- Allô! Allô? Minute!»

La voix n'arrête pas. C'est une machine. Je raccroche. Je ne vais quand même pas écouter une machine me parler!

Quand j'appelle une entreprise et qu'une machine me répond, ça me fait suer, mais j'endure, je n'ai pas le choix. Je veux régler mon problème. J'ai besoin d'elle. Alors je compose tous les numéros qu'elle me dit de composer. Et j'écoute toute la musique plate qu'elle me fait jouer. Je suis demandeur.

Mais quand je suis dans ma maison, que tout va bien, que la télé fonctionne, que l'internet fonctionne, que le courant fonctionne, que je n'ai besoin de personne, pourquoi parlerais-je à une machine? Pourquoi perdrais-je deux minutes de ma vie à écouter ce qu'une machine veut me dire?

Déjà, le gars qui veut m'abonner à la Gazette me fait perdre mon temps. Mais, au moins, c'est quelqu'un. Un humain qui se force pour parler français. Alors je l'écoute et je lui réponds gentiment que je consulte son vénérable journal sur le Net.

Mais quand c'est une machine, pourquoi rester poli? Elle ne m'entend pas. Le principe du téléphone, c'est de permettre à deux personnes d'échanger. Il y a un bout pour entendre et un bout pour parler. Pour nous passer des messages à sens unique, les entreprises ont déjà la radio et la télé. On ne peut pas répondre à Brault&Martineau ou à Club Piscine. On écoute ou on zappe.

Imaginez si toutes les entreprises se mettaient à nous appeler: «Dring! Dring!

- Allô?

- Cet appel est très important. Douze pouces, 5$ chez Subway...»

«Dring! Dring!

- Allô?

- Cet appel est très important. Ayoye! Ici la Glucosamine Collagène...»

On n'aurait plus de vie! Il faut voter une loi. Tout appelant doit être un être humain. Les cafetières, les micro-ondes et les ordinateurs n'ont pas le droit de se servir du téléphone. En tout cas, pas pour appeler. À chacun son combat: Roy Dupuis s'attaque aux détourneurs de rivières; Dominic Champagne s'attaque aux exploitants de gaz de schiste; moi, je m'attaque à la sollicitation téléphonique par les maudites machines.

Sortons dans la rue! Manifestons! Vous me trouvez heavy? C'est que la machine, elle m'appelle tous les soirs. Sans relâche! Je ne peux même pas me plaindre à l'entreprise, je ne me rends jamais au nom de l'entreprise.

Peut-être que, demain, ma maison sera saisie parce que c'était vraiment mon prêt hypothécaire qui m'appelait. Je m'en fous. Je suis prêt à faire de la prison pour défendre la quiétude du foyer.

Il n'y a pas que l'entreprise que je ne connais pas qui nous harcèle de la sorte. Quand Hydro-Québec nous avertit qu'ils vont nous couper le courant, c'est une machine. Quand le dentiste nous confirme notre rendez-vous, c'est une machine. Quand Bell veut qu'on le rappelle, c'est une machine. Je les emmerde tous. Coupez-moi le courant, les dents et la ligne téléphonique, je m'en fous. Dès que j'entends une machine s'exprimer, je raccroche. La liberté de parole, c'est pour les citoyens. Les machines, fermez vos gueules!

Qu'est-ce que ce sera dans 10 ans? Chaque personne va avoir sa machine qui appelle. Notre machine va appeler notre vieille mère pour prendre de ses nouvelles. Notre machine va avertir notre blonde qu'on va rentrer plus tard. Notre machine va appeler la machine de l'entreprise pour lui dire qu'on manque de courant.

La voix humaine est en voie d'extinction. Il faut la protéger. Entreprises, engagez du vrai monde quand vous voulez parler au vrai monde. C'est une question de respect.