Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que la chanson Money for Nothing ne devrait pas être diffusée sur les ondes radiophoniques canadiennes. Oui, vous avez bien lu! La vieille toune de Dire Straits parue en 1985. On ne recommande pas de censurer F**k You de Cee Lo Green, Ass Like That d'Eminem ou Tonight I'm F**kin' You d'Enrique Iglesias, mais Money for Nothing!

Les membres du Conseil ont sorti leur vieux CD. Je devrais même dire leur plus vieux CD, car l'excellent album Brothers in Arms, où l'on trouve Money for Nothing, est le premier CD rock. Faut-il avoir du temps à perdre pour censurer des reliques! Pourquoi ne pas censurer la Chanson de Roland, un coup parti?

Pourquoi Money for Nothing est-elle mise à l'index? À cause d'un mot, un seul mot: faggot. Qui se traduit par «tapette» ou «moumoune». On l'entend trois fois dans la chanson:

See the little faggot with the earring and the makeup

Yeah Buddy that's his own hair

That little faggot got his own jet airplane

That little faggot he's a millionaire.

Le Conseil canadien des normes prétend que c'est diffamatoire envers les homosexuels. Le Conseil canadien des normes n'a rien compris à la chanson. Money for Nothing n'est pas une charge contre les homosexuels. Money for Nothing est une charge contre les chanteurs! Contre le star-système. Contre MTV qui, dans les années 80, était la machine à faire des vedettes. Money for Nothing, c'est le point de vue du travailleur sur tous ces bellâtres de l'ère du vidéoclip. Toutes ces vedettes instantanées aux crinières de lion entourées de pétards. Le travailleur se dit: «Pourquoi eux et pas moi? Pourquoi eux gagnent des millions à jouer de la guitare, tandis que je gagne des peanuts à déménager des réfrigérateurs?»

Dans les choeurs, on entend son éminence Sting lui-même harmoniser I want my MTV. C'était au deuxième degré. Sting ne fait pas la pub de la chaîne. Il s'en moque. À la british.

Ironiquement, Money for Nothing est devenu l'un des clips les plus populaires de MTV. MTV se fout bien du deuxième degré, d'abord que ça pogne. Mais les membres du Conseil des normes devraient, eux, être sensibles au deuxième degré. Ça devrait venir avec leurs diplômes.

Le Conseil devrait comprendre que c'est le personnage de la chanson qui traite les vedettes de MTV de moumounes. Pas la chanson. Comme au théâtre. C'est une représentation de la perception des gens. Mais ça commence à être trop compliqué pour des fonctionnaires.

C'est plus simple de censurer des mots. On n'emploie pas ces mots-là. Fin de la discussion. Au diable les intentions! C'est simple, mais c'est con. Car la beauté d'un mot, c'est d'avoir plein de sens. Ce qui incarne le mot, c'est l'intention de celui qui le prononce.

Vous voulez censurer le mot «fif» systématiquement, peu importe son contexte? Alors ça veut dire que vous censurez le titre du livre de Jasmin Roy qui dénonce le traitement réservé aux homosexuels. Son touchant récit contre les esprits obtus s'intitule: Osti de fif!

Mark Knopfler, le leader de Dire Straits, n'est pas un provocateur, un extrémiste, un homophobe. Mark Knopfler est un Michel Rivard britannique. Un émule de Bob Dylan. Un homme pour la paix, pour la vie, pour le vrai. Censurer ses chansons, c'est insulter son intelligence et l'intelligence de ses millions de fans.

Cela dit, il est peut-être aussi temps d'assumer qu'on est tous des moumounes. Que le terme moumoune n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle. Quelqu'un de moumoune, c'est quelqu'un de douillet. Knopfler aurait pu écrire: ce petit douillet est un millionnaire. Mais cela aurait eu moins de punch.

En parlant de punch, j'aimerais conclure en remerciant le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. Ça faisait des années que je n'avais pas écouté Money for Nothing. Maudite bonne chanson!

Dans votre prochaine décision, si vous pouviez recommander d'interdire l'utilisation du mot sultan: Sultans of Swing aussi, c'est à redécouvrir.