Il me semble que le Mont-Saint-Antoine existe depuis toujours. Dans mon enfance, il était là, un lugubre édifice caché loin dans l'Est de la ville alors que ce coin était peu développé.

La logique catholique et paternaliste du temps nous disait que c'était une école «de reforme» pour mauvais garçons et c'est là que nous irions, loin de nos parents, loin de tout, si nous n'étions pas obéissants. Il est étonnant que nous ne soyons pas plus fous...

Jean Prémont, directeur du Centre de réadaptation Mont-Saint-Antoine, a éclairé ma lanterne hier. « Tous les garçons que vous voyez ont vécu des choses terribles à un moment de leur vie. Abusés, brutalisés, négligés... Ils n'ont connu que des échecs dans leur vie. Aujourd'hui, ils vont vivre quelques succès... «

Tiens tiens, les jeunes garçons ne sont donc pas les méchants dans cette histoire...

Un des éducateurs m'a invité au concours annuel d'hommes forts pour les 13-17 ans. Des employés de tous les services du Centre se joignent aux compétiteurs et subissent les mêmes épreuves. La fête était animée et le Mont-Saint-Antoine, où résident en permanence certains adolescents, n'est pas lugubre du tout.

C'est un très bel emplacement, avec petits logements privés, patinoire, piscine, terrain de soccer et de baseball répartis sur un grand espace vert.

Les hommes forts lèvent des billots, transportent des boulets d'acier. Ils tirent des camions, ils se livrent à toutes sortes d'épreuve de force et d'endurance, comme à la télé.

D.J. (les prénoms sont fictifs et choisis par les garçons) nous a épatés en tirant un camion. «J'avais hâte à cette journée. Le plus dur, c'est le billot de bois et le parcours avec course et push-up. Je préfère tirer le camion. Il est plus lourd que je pensais, mais je viens de battre mon record.»

Chacun a ses records, chacun est gagnant. Nous sommes là pour l'estime de soi, qui est toujours déficient au Mont-Saint-Antoine.

Zack et son copain Mikael, tous les deux âgés de 14 ans, ont du bagout et affichent un grand sourire. Zack: «J'ai hâte de commencer. À la journée des gladiateurs, j'ai terminé troisième. C'était vraiment trippant. J'ai moins aimé la journée des pompiers. Il faisait 40 degrés, il fallait mettre tout l'équipement de pompier et courir avec.... Trop chaud.»

Ça discutait fort avant, pendant et après les épreuves. Des garçons drôles, qui se taquinent, s'encouragent, s'entraident... L'inévitable musique à tue-tête résonnait, comme dans tous les événements sportifs de notre époque. Une éducatrice rappelait un des mots d'ordre du jour: tolérance.

Quand un groupe avait fini le tour des épreuves, tous les membres se réunissaient à l'ombre et échangeaient, avec les éducateurs, sur les leçons apprises. Les garçons étaient attentifs et livraient leur pensée.

Jean Prémont: «Souvent, il faut leur pousser dans le dos. Ils ne veulent pas participer, ils disent qu'ils ne sont pas capables, que c'est trop dur. Mais ils finissent par embarquer et s'amuser.»

Et puis tout à coup, on entend le mot urgence. Trois des agents de sécurité, des permanents du Centre qui participaient aux épreuves, sont partis à toutes jambes. On ne les a pas revus, on n'a pas su de quoi il s'agissait. Ce sont des choses qui arrivent, me dit-on, et puis, après tout, ce n'est pas de mes affaires...

Les plus grands arrivaient à leur tour et on changeait le camion pour un plus gros.

C'était une belle journée et une belle compétition.

Jean Prémont et son équipe ont un message pour vous: notre société manque d'éducateurs mâles en réadaptation sociale. Les garçons du Mont-Saint-Antoine sont entourés d'éducatrices.

Alors, messieurs, il y a des jeunes qui ont besoin de vous. Et ils sont très attachants...

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Un des hommes forts du Mont-Saint-Antoine, D.J. (nom fictif) a épaté au tir du camion et était tout fier d'avoir battu son record personnel !